Le poète, la danseuse et le ramoneur

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Le poète vivait avec la danseuse dans une petite chambre de bonne, sous les toits à Montmartre. Cliché me direz-vous ? C’était pourtant leur vie et la danseuse était la source d’inspiration du poète. Il n’avait qu’à la regarder virevolter dans la chambrette pour que lui viennent les mots les plus touchants et les vers les plus charmants. Mais un jour, un ramoneur vint vérifier la cheminée de leur nid douillet ; il était tout de noir vêtu et avait le visage noir lui aussi. Le ramoneur fit peur au poète qui préférait voir la vie en rose bonbon comme le tutu de la danseuse ou en bleu pale comme le ciel de Paris au mois de mars. La danseuse prit un air bête en regardant le ramoneur faire son travail dans la cheminée. C’était l’air bête du coup de foudre, de l’amour inexpliqué ; alors quand il en eut fini avec ses brosses et ses raclettes, la danseuse entraîna l’homme de suie sur les toits de Paris pour un ballet léger, un peu comme dans Mary Poppins. Le poète resta seul, terrassé, sur sa chaise de paille, cette vieille chaise qu’ils faisaient craquer en s’asseyant à deux dessus avec la danseuse. Là, elle ne craquait plus, pas plus que la danseuse ne craquait désormais pour les yeux délavés du poète.
Le lendemain, elle revint, pour chercher ses affaires. Le ramoneur se tenait sur le seuil, prêt à porter les deux valises en carton mâché. Le poète garda la tête baissée, même quand la danseuse déposa l’incroyable boule de verre sur la table usée.
« Pour t’inspirer… » dit-elle au poète en lui déposant un baiser sec sur la joue. Puis elle fila, joyeuse, avec ses bagages et son homme tout neuf.
Pendant six jours et six nuits le poète resta prostré. Le septième jour, il se leva pour manger un quignon de pain dur et boire un verre d’eau du robinet, quand tout à coup, son regard fut happé par la boule de verre. Dans la petite chambre, l’incroyable objet brillait comme un astre. Le poète s’en saisit et y vit des images qui l’inspiraient et d’autres qui le repoussaient, des cancrelats et des ballerines, des étoiles et des crachats …Il approcha encore l’objet de son visage, et alors, son œil se transforma en une multitude d’orbites qui l’observaient et le transperçaient. C’était comme si ses yeux s’enfonçaient dans son crâne pour sonder son âme et ses idées. Le poète se sentit épié, débusqué, révélé à lui-même. Il n’aurait donc plus jamais de secrets, de pensées intimes ni surprenantes ? Il serait condamné à tout savoir d’avance. Plus d’inspiration possible, plus de rêves. Le poète était désespéré, plus encore que par l’abandon de la danseuse. Il lâcha l’incroyable boule, se dirigea vers la fenêtre et se jeta en bas de sa rue.

Sur le plancher de la chambre, des centaines de strophes, de songes et de rimes rampaient au milieu des morceaux de verre brisé.
Sur l’asphalte, des dizaines de badauds fixaient la tête vide et éclatée du poète.
Sur un nuage noir, la danseuse et le ramoneur commençaient à se déchirer.

MH

14 commentaires sur “Le poète, la danseuse et le ramoneur

  1. Très cruelle cette danseuse mais elle a perdu un être précieux : un poète qui l’aimait véritablement…
    Le poète est mort mais l’avenir de la Danseuse sera sombre aussi…
    J’ai beaucoup aimé ta nouvelle…
    Triste mais elle reflète bien souvent la réalité de la vie…
    Gros bisous à toi et passe un excellent week-end avant de passer à 2019… 💕👄💖💖💖

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      1. C’est le moment idéal pour jauger notre capacité de résistance, Marla 😉
        J’ai de la chance, mon caractère me permet d’être forte dans les moments difficiles. Là, je crois que je dois remercier mes Parents pour leur éducation stricte… et même un tantinet bornée…
        e-bisous encore ! C’est permis !

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