La souris de bureau et le surmulot de Paname 

Suzie, la souris de bureau vivait et travaillait sur un petit tapis bien lisse, au deuxième étage de l’immeuble d’une grande banque. Pendant la journée, elle était soumise à  GM, la Grosse Main qui ne la lâchait pas, jusqu’à ce que tout le boulot soit accompli.

Mais le soir venu, elle se détendait enfin en compagnie d’Ordi, son N+1. Elle était reliée à lui par une sorte de cordon ombilical qui lui procurait informations et tableurs pour bosser le jour, et toutes sortes de nutriments culturels pour se distraire le soir : musique, films, documentaires mais aussi nouvelles sur la marche du monde, du pays et de Paname, où elle vivait en hauteur sans jamais y avoir posé la molette.

C’est ainsi qu’elle apprit que prospérait dans la capitale, une engeance apparentée à la sienne : le surmulot. Elle, qui ne grignotait que de la nourriture virtuelle, était fascinée de voir à l’écran ses grands cousins se repaitre de tonnes d’immondices abandonnés sur les trottoirs de la Ville Lumière. Comme ils étaient forts, comme ils étaient libres, ces beaux poilus ! Même les humains avaient peur d’eux, alors qu’elle, pauvre victime, se faisait tripoter toute la journée par une grosse main moite, sans jamais pouvoir se rebeller…

Quand tous les employés eurent quitté la banque, ce lundi soir-là, Suzie aperçut une charmante petite tête fuselée pointer à la baie vitrée de l’Open Space ! Juché sur la muraille de sacs poubelle qui atteignait bien quatre mètres de haut, Big Lolo, le chef des surmulots lui faisait des signes, l’encourageant à le rejoindre dans la rue.

Follement excitée, la souris de bureau envoya immédiatement un mail à Ordi : M’autorisez-vous à m’absenter juste pour quelques jours ? GM devrait réussir à se débrouiller sans moi, avec Touchpad mon remplaçant…sans compter que ce dernier apprécie les caresses bien plus que moi…

La réponse arriva sans tarder: Pourrais-je connaitre les raisons de ce désir de déconnection, ma p’tite Suzie ? Serait-ce le printemps qui vous titille la molette?

J’aimerais juste me frotter à la vraie vie et rencontrer les surmulots… Expliqua-t- elle.

Ordi consentit, et c’est ainsi que la souris de bureau coupa le cordon et descendit les escaliers cirés de l’immeuble dans un délicat cliquetis de bakélite. 

Quand elle fut en bas, Big Lolo l’accueillit avec un sourire plein de dents et l’entraina dans les rues de Paname. Pour Suzie, tout était nouveau et joyeux, elle était libre de suivre son nouvel ami jusqu’au bout du monde, jusqu’au bout de la nuit. Il l’emmena au pied de la Tour Eiffel, de la Tour Saint Jaques et de la Tour Montparnasse… Jamais elle n’avait imaginé des monuments aussi hauts, aussi majestueux… Bien sûr, elle les avait déjà admirés sur l’écran d’Ordi, mais c’était tellement différent de les voir pour de vrai ! Elle regardait sans arrêt vers le haut, toutes ces lumières, toutes ces merveilles de la ville la faisaient se dresser sur sa molette, encouragée par Big Lolo qui la soulevait parfois dans le ciel, de ses pattes griffues.

Mais au bout de quelques heures de pure contemplation, la faim se fit sentir.

Viens! dit le surmulot, tu vas voir, y a à bouffer partout ! On dirait que les « deux pattes » ont décidé de nous offrir des banquets gratis tous les jours en ce moment, c’est le meilleur printemps de ma vie !

Et il entraina Suzie dans une petite rue sombre, loin des quartiers touristiques infestés par les humains, pour un diner en toute intimité. Sur les trottoirs, c’étaient des barricades de sacs poubelle, certains encore bien fermés; d’autres, percés, avaient déjà été explorés par la faune nocturne de Paname.

De ses seize dents acérées, Big Lolo déchira un gros sac gris bien replet et y enfouit son puissant museau effilé. Il en extirpa quelques céréales moisies, trois pommes de terres germées, une tête de poisson à l’œil vitreux, quatre croutes de fromage et un morceau de viande bien faisandée.

A toi l’honneur, Mamzelle souris !

La pestilence de tous ces aliments avariés frappa Suzie en pleine molette ; elle ne mangeait pas de ce pain-là… Mais évidemment, son nouvel ami ne pouvait pas le deviner… Elle tenta quand même de croquer un petit morceau de corn-flakes pour ne pas avoir l’air trop snob, mais aussitôt, elle sentit son revêtement plastique enfler !

-Mon Dieu, mon Dieu ! Hurla-t-elle.

-Que pasa ? Lui répondit Big Lolo, surpris.

-Mes boutons, mes boutons ! Je n’en avais que deux, et maintenant j’en suis couverte !! Clic, clic, clic, clic, clic, clic, clic, clic… répétait-elle en boucle.

-Nom d’un rat ! Espérons que c’est pas la peste…faut que j’ la ramène illico dans  son trou !

C’est ainsi que, juchée sur le dos au pelage soyeux et musqué du surmulot, la souris de bureau regagna le deuxième étage feutré de la banque.

Consternés par son triste état, Ordi et Touchpad  décidèrent d’un commun accord d’envoyer un mail au réparateur pour faire soigner Suzie.

Au bout de quelques jours, elle revint guérie et toute guillerette sur son petit tapis propret. Et, à son grand étonnement, elle sentit sur son dos, une main délicate et légère qui la maniait avec douceur et considération :

Mais qui est-ce donc ? Questionna Suzie

Claire, une nouvelle recrue, Grosse Main a été renvoyé pour faute grave répondit Ordi

Ah bon ??

Endommagement de matériel informatique !!

C’est pas vrai ?! Vous n’avez donc pas vendu la mèche à la Direction au sujet de mon escapade ??

Bien sûr que non, je  vous apprécie trop, ma p’tite Suzie !

Et moi aussi, mon cher Ordi !

16 commentaires sur “La souris de bureau et le surmulot de Paname 

  1. Quelle prouesse dans cette description vivante de monde parallèle ! Un peu comme le nôtre somme toute 😉 Faut-il voir chaque objet autrement ? ❤ Très bon dimanche, le mien sera bon, je t'en remercie

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  2. Très chouette histoire et d’actualité en plus, qui va me faire prendre plus de soin de mon Touchpad, tout en ne négligeant pas ma souricette bouton d’or ( elle est jaune citron) remisée depuis quelque temps. Bon dimanche.

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