Traumatisme capillaire

Monsieur le coiffeur, je vous en supplie, ne me coupez pas les cheveux ! Hurlait Gonzague.

Il aurait tant voulu les garder, ses boucles blondes… Mais Sylvaine sa maman et surtout Monsieur Raztout, le coiffeur, en avaient décidé autrement.  

Perdu sous le grand tablier à fines rayures, Gonzague s’échappait dans ses rêves. Il revoyait ses longues mèches dorées virevolter dans le vent quand il jouait au preux chevalier, défenseur de Claudie et Ninette la petite voisine et sa poupée de chiffon.

Monsieur le coiffeur, je vous en supplie, ne me coupez pas les cheveux !

Pourtant, les effroyables ciseaux s’étaient approchés de se nuque tendre. Ils avaient effleuré la peau toute douce et le garçonnet avait frémi sous leur contact glacial. Et puis « cccrac » il avait entendu la première coupe au plus près de sa petite oreille rose, sous le regard sadique de Monsieur Razetout.

Des dizaines de petits anneaux d’or s’étaient répandus sur le tablier comme des bribes de paradis perdu et le sourire carnassier du coiffeur avait resplendi.

La mère avait été vaguement émue par le regard désemparé de son fils. Elle avait essuyé une larme mesquine du coin de son mouchoir brodé ; mais à aucun moment elle n’avait donné l’ordre au faucheur de blé d’interrompre son inhumaine moisson. 

Monsieur le coiffeur, je vous en supplie, ne me coupez pas les cheveux !

Le lendemain c’était déjà le départ pour le pensionnat, l’arrachement à la maison maternelle, au jardin ébouriffé et aux aventures médiévales avec Claudie et Ninette.

Plus tard, ce fut le service militaire et les séances hebdomadaires chez le Maître barbier. Gonzague n’avait plus l’age de crier, mais intérieurement il hurlait toujours :

Monsieur le coiffeur, je vous en supplie, ne me coupez pas les cheveux !

Et puis, Gonzague avait eu trente ans et était devenu écrivain. Après l’armée, il avait épousé Claudie et n’était plus jamais retourné chez le coiffeur. Il avait longtemps espéré recouvrer ses belles boucles dorées, mais à la place, de tristes mèches filasse avaient poussé.

Demain, Gonzague aura soixante ans. Monsieur Razetout, son tortionnaire d’antan est mort il y a quinze ans, dans son salon, en faisant une teinture à Sylvaine. Celle-ci était ressortie mi-brune, mi-blanche comme la « Cruella » des « Cent un dalmatiens » ! Gonzague avait beaucoup ri ce jour-là, intérieurement bien sûr…

Maintenant Gonzague a deux vilaines tonsures sur son grand front ridé, mais il s’en fiche. « Gonzague numéro deux » son petit-fils, adore lui faire des bisous à cet endroit là : C’est tout doux ! dit-il en chatouillant le cou de son grand père avec ses belles boucles dorées.

Quand les deux Gonzague se promènent dans le village, ils longent souvent l’ancien salon de Monsieur Razetout aujourd’hui transformé en salon de tatouage :

– Et qu’est-ce qu’on crie quand on passe ici ? Interroge le grand-père

– Monsieur le coiffeur, je vous en supplie, ne me coupez pas les cheveux ! Hurle le petit en riant. 

17 commentaires sur “Traumatisme capillaire

  1. Bon jour,
    Excellent. Je n’oublie pas que j’avais des boucles blondes et que depuis je vais rarement chez le coiffeur avec mes cheveux grisonnants … en fait, cela fait écho à mon enfance … 🙂
    Bonne journée 🙂
    Max-Louis

    Aimé par 1 personne

  2. Oh, c’est touchant! Mais moi, c’est Maman qui me coupait les cheveux. Une tête très bouclée mais toute noire-noire! Qui l’aurait dit….car maintenant cette tête n’est plus noire et n’est plus bouclée!!!

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    Aimé par 1 personne

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