
Lydia était au square avec Martin, son fils de six ans. Chaque mercredi, ils y passaient deux bonnes heures. Lydia s’enthousiasmait des prouesses du petit sur le toboggan ou dans la cage à poules, et puis aussi du beau temps quand il faisait beau et de la pluie quand il pleuvait : Une belle averse, c’est bon pour les plantes pensait-elle. Mais ce jour-là, alors qu’elle s’apprêtait à sourire à la vie comme chaque mercredi, les commissures de ses lèvres retombèrent pour donner à son visage un air «dégouté du veau froid ». Lydia fit des efforts démesurés pour rectifier le positionnement de sa bouche et écarquiller les yeux sur les merveilles du jardin public, comme elle avait l’habitude de le faire, mais non, son expression demeurait triste et blasée. Même les roulades de Martin, même le cui-cui des moineaux, même la chanson de la petite mendigote du banc d’en face n’y purent rien, Lydia avait définitivement perdu le moral.
Elle décida alors de quitter le square malgré les larmes de Martin.
Elle déprimant, et lui geignant, ils se dirigèrent vers leur appartement. Chemin faisant, ils passèrent devant la maison de repos Les Lilas Fleuris. Les pensionnaires étaient tous de sortie dans leur sinistre cour visible de la rue. D’habitude, Lydia frissonnait en voyant ces pauvres gens démoralisés qui trainaient leurs tristes silhouettes sur le bitume gris ; mais ce jour-là… Incroyable ! Extraordinaire ! Ahurissant : les dépressifs couraient dans tous les sens, certains sautaient à la corde, d’autres faisaient un joyeuse ronde, d’autres encore s’étaient lancés dans une folle partie de « trap-trap bisou » le tout dans un brouhaha des plus joyeux.
-« Mais enfin, je rêve ou ces dingos m’ont volé mon moral ? dit Lydia à son fils, c’est inadmissible, vite au poste, il faut que je porte plainte au plus tôt !
Quand Lydia arriva à la gendarmerie, elle expliqua son cas au brigadier en faction :
– Monsieur l’agent, voici ce qu’il m’arrive, je viens d’être démoralisée par une bande de dépressifs ! »
L’agent n’eut pas l’ait étonné :
-Et voilà que ça recommence…mardi dernier, un monsieur sans cœur est venu porter plainte ; il faut dire que c’était la Saint Valentin, et que ce jour-là, les voleurs de cœurs sont légion. Cet homme était fort désagréable et totalement indifférent au fait que, si je recevais sa plainte, je serais en retard au restaurant avec ma Valentine !
-Alors comment avez-vous fait ? Demanda Lydia
-Je lui ai demandé de patienter cinq minutes, j’ai filé aux toilettes et je me suis arraché le cœur pour le lui donner. Il n’y a vu que du feu !
-Mais vous, alors… vous êtes allé sans cœur à votre rendez-vous galant ?
-Oui, mais cela n’a pas posé de problème, ma fiancée a un faible pour les mauvais garçons et son amour pour moi a redoublé depuis que je suis écœuré !
– Ça alors ! Répondit Lydia. Mais pour mon affaire… ?
-Je connais bien la directrice des Lilas fleuris, Madame Primevère, je vous propose de nous rendre immédiatement sur les lieux et de mener l’enquête.
Sur ce, le brigadier prit la direction de la maison de repos, suivi de près par Lydia et son fils, leur moral toujours au « bas fixe »
Quand Madame Primevère ouvrit la porte de son établissement, elle était rayonnante ! Derrière elle, dans la salle à manger, ses pensionnaires avaient organisé un bal masqué et s’amusaient comme des fous qu’ils étaient !
-Madame Primevère, excusez-moi de vous déranger mais je suis ici accompagné de ma triste plaignante et de son malheureux enfant pour un vol manifeste de moral. Auriez-vous remarqué par hasard un changement significatif dans l’attitude de vos protégés ?
-Certes, certes, Ils sont gais comme des pinsons, mais il n’y a rien d’illégal là-dedans, nous expérimentons depuis ce matin la bouillie hilarante préparée conjointement par le Professeur Folichon, notre Docteur en chef et Monsieur Rigol, notre cuisinier.
-Mauvaise piste… Conclut l’agent
Lydia en aurait pleuré…Le trio sortit alors de la maison de repos (qui n’en n’avait plus que le nom) alors que Madame Primevère rejoignait ses dingos pour une folle ribambelle.
C’est alors que Lydia proposa de retourner sur les lieux de la disparition –Le square –
-Pourquoi pas ! Répondit l’agent, c’est l’heure de ma pause-déjeuner et je sais qu’il y a là-bas un potager plein de tomates cœur de bœuf ; en sandwich avec ma tranche de jambon, ce sera excellent !
Une fois assis tous les trois sur le banc, Lydia vit que la mendigote était toujours là, sur le banc d’en face, exactement dans la même position qu’en début de matinée ; mais elle ne chantait plus, elle fouillait dans son sac à carreaux.
Au bout de quelques minutes, elle en sortit un odorant maroilles orange et carré dans lequel elle s’apprêtait à mordre à pleins chicots quand Lydia hurla :
-C’est lui, je le reconnais, c’est mon moral affublé d’un i, d’un l supplémentaire, d’un e et d’un s ! Vite, Monsieur l’agent, faites comme le renard de la fable et emparez-vous de ce « fromage » avant que cette femme ne le croque, il s’agit bien de mon moral kidnappé et travesti par cette mendigote !
L’agent obéit aussitôt, juste avant que les dents noires de la kidnappeuse n’aient entamé la bonne chair souple du moral de Lydia.
La pauvresse fut prestement menottée et conduite au poste malgré ses protestations :
-Mais c’est qu’un maroilles, Monsieur l’agent, y a pas de quoi en faire tout un fromage !! »
Les coudes bien calés sur les appuie-bras du banc, Lydia engloutit l’excellent carré orangé à une vitesse record. Et il ne fallut que le temps de la digestion pour qu’elle recouvre son excellent moral habituel, et que le petit Martin récupère lui aussi joie et de vitalité !
Ah voilà : contre « l’air dégoûté du veau froid », rien ne vaut un bon Maroilles… et en avant trap-trap bisous !
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🤣Merci pour ta lecture Rizzie !
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quelle aventure ! trop drôle et bien amené ! merci à toi
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Merci Gibulène !
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Bon jour Marina,
Excellente narration entre réalisme et surréalisme le tout ficelé sans perdre … le moral 🙂
Bonne journée
Max-Louis
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Merci Max-Louis, contente que cette histoire te plaise, bon dimanche à toi.
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Un Mars ça marche aussi et ça sent meilleur, mais merci pour le ch’ti conseil.
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Ah oui, les Mars j’en ai beaucoup mangé étant plus jeune, mais je préférais quand même les Bounty ! Merci pour ta lecture
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Excellent 🙂
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Merci beaucoup, Martine.
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Ah j’adore cette histoire qui m’a bien fait rigoler. Le maroilles… j’avoue qu’il sent davantage qu’il n’en a le goût 😂 mais j’ai bien aimé cette histoire de moral volé.
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Tant mieux ! J’aime quand les gens rigolent en lisant mes textes !
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Effectivement, ça fait plaisir.
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👍
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