Tante Agathe

Ce texte m’a été inspiré par cet incipit d’Hervé le Tellier: « Tuer quelqu’un ça compte pour rien »

« – Tuer quelqu’un, ça compte pour rien ! Avait lancé tante Agathe, avachie dans son fauteuil roulant.

La famille, attablée autour du gouter funéraire, s’était retournée sur elle, Il y avait Bernard son cousin de Maubeuge avec sa femme Giselle au nez pointu, ainsi que Titi et Toto leurs jumeaux boutonneux de quinze ans.

-Mais enfin, qu’est-ce que tu veux dire par là, tante Agathe ? Questionna Bernard, la bouche pleine de crème au beurre.

-La mort fait partie de la vie… Avait répliqué la tante, l’air énigmatique.

-La mort naturelle, c’est certain ajouta Giselle, mais pourquoi parles-tu de « tuer quelqu’un » tantine ? Oncle Jacques a bien fait une crise cardiaque, non ?

A ces mots, tante Agathe se leva de son fauteuil roulant. Tous blêmirent. Jamais ils n’avaient vu la vieille debout. Souple et alerte, elle grimpa d’un bond sur la table, piétinant le gâteau crémeux et renversant les coupes de mousseux sur la nappe immaculée. Puis, elle entama son discours :

-Eh non les loulous, je ne suis pas infirme ! Eh non les loulous, votre oncle n’est pas mort de façon naturelle ! Eh oui les loulous, c’est moi qui ai fait le coup !

Devant les quatre paires d’yeux dilatés par la surprise et face aux quatre bouches béantes  pleines de gâteau, tante Agathe poursuivit :

Vous croyez quoi les loulous, que vos étrennes et vos cadeaux d’anniversaire je vais les payer comment, moi ? Si j’avais laissé le vieux vivre plus longtemps il aurait dilapidé toutes nos économies en femmes de mauvaise vie et en Ricard ! Ha, j’en ai vu défiler des Lolas, des Ginas et des Barbaras dans la chambre d’amis…Moi, je la bouclais et je restais bien sage dans mon fauteuil, mais en silence je ruminais : Tu vas voir mon coco quand je vais me lever, les p’tites bricoles qui vont te tomber dessus…

Et puis, il y a eu ce samedi 20 décembre. Jacques est revenu du centre commercial, les bras chargés de paquets. Moi je lui ai dit : Alors, on dirait que tu as trouvé des cadeaux de Noël pour les neveux ! Et lui, ce salopard, devinez ce qu’il  m’a répondu : Rien à foutre de la famille et rien à foutre de toi non plus, légume ! Tous ces paquets, c’est pour mes poulettes, mes p’tites greluches chéries ! Y a qu’elles qui me donnent du plaisir dans la vie ! Y a qu’elles qui vaillent le coup !

Alors, lundi dernier pendant qu’il était encore au lit avec une de ses satanées bonnes-femmes, je suis allée voir le Père Gauchet, il est un peu sorcier, celui-là… Il en revenait pas de me voir gambader, mais il m’a juré qu’il dirait rien et il m’a refilé sa mixture jaunâtre en échange de ma tarte aux noix. Moi, j’ai versé ça dans le potage du vieux dès le lendemain soir et pfit… crevé, rétamé, mortibus d’un coup, mon Jacques !

Et voilà comment j’aurai désormais les moyens de vous gâter mes chéris ! 

Sur ses paroles, tante Agathe reprit sa place dans son fauteuil roulant, sous les applaudissements chaleureux de sa famille.

-Tante Agathe, tu es la plus gentille des tatas ! » S’exclamèrent-ils tous en chœur.

17 commentaires sur “Tante Agathe

  1. Hello Marie-Hélène bravo

    J’aime. On ne peut faire confiance à personne ! Toutes les familles ont leurs petits secrets, qui se dévoilent souvent très tard… Bien vu ! Joelle

    >

    Aimé par 1 personne

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