Le caca

Pour son 151ème Café Thé, Ecureuil Bleu nous proposait de parler d’un moyen de locomotion qui nous avait marqué.

Hier, alors que je garais ma Fiat Punto dans l’un des superbes *U de Royan, mon cœur fit un bond en voyant un « caca », sagement rangé, deux places plus loin que moi.

Des lustres que je n’avais plus vu l’un de ces excréments devenus aussi rares aujourd’hui que des pierres précieuses ! 

Je vous entends déjà protester en me lisant : Une crotte, un étron, une bouse, une infâme déjection, c’est ça qui fait bondir ton cœur ?  Mais non, je ne suis pas si folle, rassurez-vous.

« Le caca » c’est le nom que je donnais à l’Ami 6 de mon père, cette disgracieuse petite Citroën qu’il utilisait pour aller à la chasse, et où s’entassaient les bagages, deux setters anglais, un fusil, trois gibecières, deux paires de bottes en caoutchouc, un piquenique et moi, accessoirement.

Coincée sur la banquette arrière entre un sac de week-end et un panier de victuailles, je reniflais à plein nez l’odeur du skaï, du chien mouillé, du grillon charentais et des Gauloises sans filtres. Un mélange si particulier que si je le respirais à nouveau, je serais à coup sûr propulsée dans les entrailles de la Citroën de mes dix ans : cette Ami malodorante au physique ingrat, avec ses sourcils froncés, son regard de grenouille et sa crête de coq à l’arrière.

Au rythme de la Petite fleur de Sidney Bechet, la bagnole brinquebalante bondissait sur les routes de campagne, toutes vitres ouvertes, laissant échapper éclats de saxophone et volutes bleues…

Et la revoilà aujourd’hui, sa cousine, perdue dans ces années de crise, elle qui n’avait connu que les « Trente glorieuses »

Ma Fiat Punto me semblait bien fade tout à coup face à l’audace de sa silhouette : quel caractère avec ces sourcils froncés ! Innovant ce regard de grenouille et un vrai trait de génie cette crête de coq à l’arrière, digne de l’inventivité d’un St Laurent ou d’un Christian Dior !

Je descendis de mon insignifiante voiture et m’approchai timidement du merveilleux « caca ». Si l’une des vitres était entrouverte, peut-être pourrais-je retrouver l’odeur… au moins celle de la banquette de skaï, à défaut du mélange subtil d’antan.

Elle était là, à portée de main, j’allais pouvoir effleurer sa tôle d’un blanc douteux et vérifier ses ouvertures, quand tout à coup… Elle disparut comme elle était apparue, dans le tunnel du passé.

*Une particularité intéressante de l’architecture du Front de Mer de Royan est la présence de petits bâtiments perpendiculaires à l’axe principal et qui forment les « U » ouverts sur la mer et dans lesquels on trouve des boutiques et des places de parking.

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16 commentaires sur “Le caca

  1. Une voiture au look pensif ou renfrogné, des odeurs liées à l’enfance, le poil mouillé des chiens, Sidney Bechet dans l’oreille et du grillon charentais sur le bout de la langue. On se croirait revenu dans l’autre siècle ! J’aime beaucoup !

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  2. Comme toujours du titre qui ne peut qu’interpeller le lecteur ( faut dire que moi aussi j’me suis dit ouh un coup de gueule?) à la lecture du texte précis dans ces descriptions au point qu’on embarque dans cette Ami 6 avec le chien et toutim. La chute est…surprenante.

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  3. Pour moi Caca c’était mon père, je l’appelais ainsi dans les premières années de ma vie! On sent à la lecture ces odeurs de skaï et de gauloise… bravo aussi pour cette description animale de ta Caca 🐸🐔👍

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