Plaintes et plinthes

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Texte court à partir de l’incipit : « Il y aura toujours quelqu’un pour repeindre les plinthes » Tiré du roman de Laurent Mauvignier : Apprendre à finir.

« Il y aura toujours quelqu’un pour repeindre les plinthes » disait le chef Mathieu. Mais pourquoi c’est toujours moi ? Un boulot ingrat, à genoux sur le plancher. J’ai mal au dos, j’ai mal aux jambes mais tout le monde s’en fiche ! Le chef, lui, il choisit toujours les murs, je dirais même le milieu des murs, pour que son bras n’ait pas à se tendre à plus de soixante centimètres au-dessus ni au-dessous de son coude ! Le trop haut il le fait faire par Gérard le géant et le trop bas par Basile de nabot. Finalement, il n’y a que moi, Pierrot, qui ai hérité d’un boulot contre nature ! Le chef, lui, il peint en chantant du Claude François à tue-tête, Gérard et Basile, ils font les Claudettes en se tortillant sur leurs immenses ou minuscules gambettes,  pinceaux et brosses à la main. Et moi, je geins… je me plains de mes plinthes ! Comment est-ce que je pourrais chanter, tout contorsionné que je suis ?
Il a de la chance de dominer, Gérard, et ça lui arrive de peindre des ciels étoilés au plafond même quand c’est pas prévu dans la contrat. Basile, lui, il fait des frises au ras de mes plinthes, c’est souvent le petit poucet qui émiette son pain, ou les sept nains qui rentrent du boulot, hé ho, hé ho…ça fait joli dans les chambres d’enfants, moins dans les salles à manger, mais les gens n’osent rien dire à cause de la petitesse de Basile.
Un jour, une belle cliente rousse a donné ses directives : Je veux que tout soit blanc, comme dans une clinique, blanc, propre et aseptisé, comme ça, si un jour je suis hospitalisée, je me sentirai comme à la maison ! Et puis, mes cheveux ressortiront bien sur le blanc, vous ne croyez pas ? Moi j’ai pas osé répondre, d’ailleurs je crois qu’elle nous avait même pas remarqués, Basile et moi, planqués derrière Gérard et lui non plus d’ailleurs, perché six têtes au-dessus d’elle. Elle n’avait vu que le chef Mathieu qui était devenu aussi rouge que les cheveux de la dame et avait bégayé : Voui, voui voui, Madame…, le nez dans les souliers. Moi, j’ l’avais jamais vu comme ça, d’habitude c’est un vrai chef qui crie ou qui chante, mais là… un pauvre souriceau.
Au fait, ça sert à quoi les plinthes ? C’est comme les queues des radis, ça sert à rien ! Et si elles n’existaient pas, les plinthes ? Si Basile, il passait le pinceau jusqu’au plancher, ce serait pas mieux ? Et puis ça lui donnerait de l’importance au petit ; la sensation d’être un grand qui finit bien tout son mur, lui qui a jamais réussi à finir sa soupe.
Ou alors… Si on les passait à l’as, les plinthes ? On laisserait le chef Mathieu en tête-à-tête avec la belle rousse et puis Gérard, Basile et moi on partirait à la pêche dans un joli coin de campagne où la nature a déjà peint le décor à notre place et où on n’aurait plus qu’à se tourner les pinceaux en attendant le poisson !

MH

6 commentaires sur “Plaintes et plinthes

  1. C’est très rigolo ! A partir de deux homonymes sans autre lien ensemble que leur prononciation, tu crées une histoire qui tient debout (enfin…pas pour tout le monde hi hi!), rejoignant en cela ma problématique de rimenaute pour faire rimer les vers…Je suis certain que tu dois avoir dans tes tiroirs quelques poèmes bien léchés car c’est une tournure d’esprit de poète avec en plus l’imagination.

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