Consigne : écrire un texte commençant par l’incipit : Une vie, et j’étais bien placé pour le savoir, vaut entre trente et quarante mille euros (On ne voyait que le bonheur, Grégoire Delacourt)
Une vie, et j’étais bien placé pour le savoir, vaut entre trente et quarante mille euros.
Pendant plus de vingt ans je m’étais spécialisé dans la vente d’êtres humains.
Avec mon équipe, on allait là où les êtres sont indigents, esseulés, désespérés, drogués même.
On les ramenait à la Clinique du Nouveau Départ pour les soigner, les soumettre à de la chirurgie esthétique ou simplement les relooker, et après, on les mettait en vente.
Soldés à trente mille pour ceux qui, malgré les soins, restaient médiocres et quarante mille pour les autres.
C’est curieux mais, jamais ils ne protestaient contre ce commerce qui s’apparentait, il faut bien l’avouer, à une foire aux bestiaux. Tellement reconnaissants d’avoir été sortis du marasme, ils acceptaient tout, docilement, comme des bêtes d’abattoir.
Les acheteurs étaient plutôt des hommes : de riches célibataires, souvent très laids, en mal de partenaires; mais aussi quelques femmes à la recherche de mâles serviles.
Mais aujourd’hui, alors que j’avais pris ma retraite et revendu mes parts de la clinique à mon plus jeune associé, je me posais cette question entêtante : Moi, Jérôme Delabre, soixante ans, d’un physique banal et un peu trop porté sur la bouteille, combien est-ce que je vaudrais ?
Moins de trente mille euros, ça c’était certain vu mon âge. Mais que dire de mes vices? La boisson et le tabac, on pourrait peut-être m’en guérir mais la cupidité, l’égoïsme, la cruauté ? Voilà de graves défauts dont aucun psychiatre ne saurait me débarrasser.
Tous ces êtres humains que j’avais kidnappés, modifiés et vendus comme de vulgaires produits pendant des années sans le moindre remord … A tous les coups je vaudrais moins de dix mille.
Pourrais-je toutefois offrir de la tendresse à une vieille fille ou à une veuve éplorée ? Non, je n’avais jamais été capable de penser à quelqu’un d’autre que moi. Moins de cinq mille.
Et comme garde d’enfants, est-ce que je saurais supporter des gosses à longueur de journée sans perdre mon sang froid ? Non, je les balancerais par la fenêtre aux premières pleurnicheries. Moins de mille.
Serais-je alors capable d’effectuer des corvées ménagères pour être proposé comme homme à tout faire ? Impossible, j’avais toujours eu mes propres domestiques et n’y entendais rien en aspirateurs. Moins de cinq cents.
Et si je mourrais et que l’on vendait mon corps à la science pour sauver des vies ? Même pas …
Mes yeux sont viciés par toutes les horreurs qu’ils ont vues.
Mes poumons encrassés par tous les cigares qu’ils ont fumés.
Mon foie détraqué par tout le whisky qu’il a filtré.
Mon cœur atrophié par tout l’amour qu’il n’a pas donné.
Ma vie à moi, elle vaut zéro.
MH
Whaou
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😮
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Ben alors…lucide…Quant à l’histoire malheureusement…on en est là même si on a pas le droit de le dire…autrement que de façon cynique ce que tu fais magnifiquement.
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Merci beaucoup pour ce commentaire Pat.
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Oh la la! Que c’est déprimant! Mais, par contre, comme c’est vrai car nous vivons dans un monde cynique et qu’il faut avoir le courage de critiquer les yeux dans les yeux!!!
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Oui par beaucoup de côtés, notre monde est peu réjouissant …
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