Chat va, chat vient …

Posture assise, en toute élégance
Clôture des yeux vert chartreuse
Queue fournie enlaçant quatre petons gris souris.

Miaulements en si majeur 🎶
Sourcils froncés
L’heure de la pâtée est dépassée !!

Dérapage sur parquet ciré
Mouche trop zélée
Chat chagriné.

D’un bond aérodynamique
la guêpe est capturée
Aie Aie Aie ! les coussinets.

Moustachu bicolore
grimpé sur ses griffes
hérisse son dos de dinosaure.

Oreilles rabattues
ventre à terre et queue battante
Grisou crache sa colère !

Au firmament de l’étirement
les pattes s’éternisent,
bâillement aux crocs d’ivoire.

Queue vers le ciel
Démarche chaloupée
Chat matou l’air d’aller !

Niché dans un carton minuscule
le corps souplesse
goûte les délices du confinement.

Marché de mots frais du matin 

Le ton chantant  

de la boulangère dorée, 

pain enchanté… 

Les yeux secs d’ Amandine 

étalent leurs noisettes 

aux raisins de Corinthe. 

Le prix des primeurs 

s’affole… 

Déraison de saison.

Truites truculentes 

Langoustines frétillantes 

Poissonnier écrevisse !

Edam crémière ! 

Tu faisselles qui reblochonne  

Derrière ta meule de beurre ? 

Un café pour Madame 

réchauffe ses entrailles ; 

Un thé vert pour Monsieur.

Boudin ou andouillette ?

Andy ne sait trancher, 

dilemme en charcuterie… 

Au stand des olives

Vertes senteurs

J’achète tout !

Flowers Fields Forever

Pour l’Agenda Ironique de mars, Isabelle-Marie nous propose d’écrire une histoire printanière avec pour cadre un champ rempli de fleurs pas très sympathiques et pas forcement recensées par les botanistes ; une seule  est imposée : le pissenlit, ainsi que la présence d’un objet garant du temps (horloge ou autres montres) et d’une valise. Les mots : graine, sauvage et corolle seront à incérer dans le récit ! Gros boulot !!

La maman de Coco et le Docteur Foldingue s’entretiennent, lors d’une visite médicale à domicile :

-Mon fils de trente ans pisse en lit toutes les nuits !

-Il n’est pas très en avance !

-Non, Coco est en retard comme le lapin blanc d’Alice au Pays des Merveilles

-A-t-il une montre ?

-Ah non…

-Je connais un champ où le lapin de Pâques cache des montres en or à la place des œufs en chocolats ! D’ailleurs, c’est là que le lapin d’Alice a trouvé sa montre-gousset !

-Vraiment ?

-Vraiment. Et comme Pâques c’est demain, vous feriez mieux de faire vos valises. Coco en a une au moins, de valise ?

-Oui, une valise en carton, il a déjà pissé dans tous les hôtels d’Europe avec sa valise, il adore voyager de lit en lit, vous savez !

-Parfait, partons sur le champ, alors !

A bord de l’ambulance vrombissante du Docteur Foldingue, le voyage passe très vite, Coco ronfle sur l’épaule de sa maman tandis que le médecin conduit au rythme sauvage des Carnivorous Plants, le nouveau groupe de hard rock qui fait fureur dans sa clinique.

Quand ils arrivent à destination, c’est l’éblouissement total… Coco et sa maman n’en croient pas leurs yeux. Le champ vert tendre digne d’un tableau de Monet est parsemé de mille fleurettes multicolores plus attirantes les unes que les autres. Apres ce long voyage Coco a naturellement envie de faire pipi :

-Comment s’appelle cette adorable fleur ébouriffée, Maman ?

-Un pissenlit, mon chéri.

-Alors c’est sur elle que je vais pisser ! Répond Coco tout logiquement

Mais alors qu’il extirpe sa tige de son pantalon pour l’orienter vers le capitule de la fleur, celle-ci projette sur lui un liquide venimeux et urticant qui vient le brûler douloureusement !

-Aie aie aie ! je déteste le pissenlit !

-Parfait, c’est exactement ce que j’espérais t’entendre dire Coco ! Lui répond le médecin. Et vous me disiez, Madame, que votre fils était en retard… d’une manière générale ?

-Oui, avec les filles notamment…A trente ans il n’en n’a jamais fréquenté une seule…

-Va donc folâtrer parmi les fleurs amicales, Coco, tu y trouveras peut-être une jolie surprise ! Lance le Docteur.

Coco, à peu près remis de l’attaque du pissenlit, se résout à quitter les corolles de sa mère pour s’aventurer vers d’autres fleurs épanouies. Une ravissante tuliportie bleue l’attire irrésistiblement, il s’en approche et découvre en son cœur, une magnifique montre en or brillant de mille feux ! Prend-la, Coco et passe-la à ton poignet, lui susurre la tuliportie, tu verras, avec elle, tu rattraperas tout le temps perdu !

Et en effet, à peine la montre ajustée à son bras, Coco court à perdre haleine jusqu’à sa mère pour lui annoncer :

-Mère !

-«Mère» ?? Tu ne me dis plus «maman» mon Coco ?

-Non, Mère, et vous aussi, cessez donc avec ce surnom ridicule ! Appelez-moi Cornelius désormais, car vous avez l’honneur de parler à un homme sur le point de convoler !

-Si vite ? Répond la mère effarée

-Je vous l’avais bien dit ! Rétorque le Docteur Foldingue, ce champ recèle des pouvoirs extraordinaires !

C’est ainsi que Cornelius retourne auprès de la tuliportie et lui injecte sa petite graine. Aussitôt, voilà la belle qui se transforme en une terrifiante mégère, et qui piétine de toutes ses forces la valise en carton de Cornelius :

-Finis les voyages maintenant mon Coco ! tu es là et tu y restes, allez, aux fourneaux ! Et plus vite que ça !

Sur le chemin du retour, alors que le Docteur Foldingue chante à tue tête  Flowers Fields Forever, le dernier tube des Carnivorous Plants, la mère pleure toutes les larmes de son corps et se fait la promesse que plus jamais elle n’aura recours à la médecine !

Au secours, on m’a démoralisée !

Lydia était au square avec Martin, son fils de six ans. Chaque mercredi, ils y passaient deux bonnes heures. Lydia s’enthousiasmait des prouesses du petit sur le toboggan ou dans la cage à poules, et puis aussi du beau temps quand il faisait beau et de la pluie quand il pleuvait : Une belle averse, c’est bon pour les plantes pensait-elle. Mais ce jour-là, alors qu’elle s’apprêtait à sourire à la vie comme chaque mercredi, les commissures de ses lèvres retombèrent pour donner à son visage un air «dégouté du veau froid ». Lydia fit des efforts démesurés pour rectifier le positionnement de sa bouche et écarquiller les yeux sur les merveilles du jardin public, comme elle avait l’habitude de le faire, mais non, son expression demeurait triste et blasée. Même les roulades de Martin, même le cui-cui des moineaux, même la chanson de la petite mendigote du banc d’en face n’y purent rien, Lydia avait définitivement perdu le moral.

Elle décida alors de quitter le square malgré les larmes de Martin.

Elle déprimant, et lui geignant, ils se dirigèrent vers leur appartement. Chemin faisant, ils passèrent devant la maison de repos Les Lilas Fleuris. Les pensionnaires étaient tous de sortie dans leur sinistre cour visible de la rue. D’habitude, Lydia frissonnait en voyant ces pauvres gens démoralisés qui trainaient leurs tristes silhouettes sur le bitume gris ; mais ce jour-là… Incroyable ! Extraordinaire ! Ahurissant : les dépressifs couraient dans tous les sens, certains sautaient à la corde, d’autres faisaient un joyeuse ronde, d’autres encore s’étaient lancés dans une folle partie de « trap-trap bisou » le tout dans un brouhaha des plus joyeux.

-« Mais enfin, je rêve ou ces dingos m’ont volé mon moral ? dit Lydia à son fils, c’est inadmissible, vite au poste, il faut que je porte plainte au plus tôt ! 

Quand Lydia arriva à la gendarmerie, elle expliqua son cas au brigadier en faction : 

– Monsieur l’agent, voici ce qu’il m’arrive, je viens d’être démoralisée par une bande de dépressifs ! »

L’agent n’eut pas l’ait étonné :

-Et voilà que ça recommence…mardi dernier, un monsieur sans cœur est venu porter plainte ; il faut dire que c’était la Saint Valentin, et que ce jour-là, les voleurs de cœurs sont légion. Cet homme était fort désagréable et totalement indifférent au fait que, si je recevais sa plainte, je serais en retard au restaurant avec ma Valentine !

-Alors comment avez-vous fait ? Demanda Lydia

-Je lui ai demandé de patienter cinq minutes, j’ai filé aux toilettes et je me suis arraché le cœur pour le lui donner. Il n’y a vu que du feu !

-Mais vous, alors… vous êtes allé sans cœur à votre rendez-vous galant ?

-Oui, mais cela n’a pas posé de problème, ma fiancée a un faible pour les mauvais garçons et son amour pour moi a redoublé depuis que je suis écœuré !

– Ça alors ! Répondit Lydia. Mais pour mon affaire… ?

-Je connais bien la directrice des Lilas fleuris, Madame Primevère, je vous propose de nous rendre immédiatement sur les lieux et de mener l’enquête.

Sur ce, le brigadier prit la direction de la maison de repos, suivi de près par Lydia et son fils, leur moral toujours au « bas fixe »

Quand Madame Primevère ouvrit la porte de son établissement, elle était rayonnante ! Derrière elle, dans la salle à manger, ses pensionnaires avaient organisé un bal masqué et s’amusaient comme des fous qu’ils étaient !

-Madame Primevère, excusez-moi de vous déranger mais je suis ici accompagné de ma triste plaignante et de son malheureux enfant pour un vol manifeste de moral. Auriez-vous remarqué par hasard un changement significatif dans l’attitude de vos protégés ?

-Certes, certes, Ils sont gais comme des pinsons, mais il n’y a rien d’illégal là-dedans, nous expérimentons depuis ce matin la bouillie hilarante préparée conjointement par le Professeur Folichon, notre Docteur en chef et Monsieur Rigol, notre cuisinier.

-Mauvaise piste… Conclut l’agent

Lydia en aurait pleuré…Le trio sortit alors de la maison de repos (qui n’en n’avait plus que le nom) alors que Madame Primevère rejoignait ses dingos pour une folle ribambelle.

C’est alors que Lydia proposa de retourner sur les lieux de la disparition –Le square –

-Pourquoi pas ! Répondit l’agent, c’est l’heure de ma pause-déjeuner et je sais qu’il y a là-bas un potager plein de tomates cœur de bœuf ; en sandwich avec ma tranche de jambon, ce sera excellent !

Une fois assis tous les trois sur le banc, Lydia vit que la mendigote était toujours là, sur le banc d’en face, exactement dans la même position qu’en début de matinée ; mais elle ne chantait plus, elle fouillait dans son sac à carreaux.

Au bout de quelques minutes, elle en sortit un odorant maroilles orange et carré dans lequel elle s’apprêtait à mordre à pleins chicots quand Lydia hurla :

-C’est lui, je le reconnais, c’est mon moral affublé d’un i, d’un l supplémentaire, d’un e et d’un s ! Vite, Monsieur l’agent, faites comme le renard de la fable et emparez-vous de ce « fromage » avant que cette femme ne le croque, il s’agit bien de mon moral kidnappé et travesti par cette mendigote !

L’agent obéit aussitôt, juste avant que les dents noires de la kidnappeuse n’aient entamé la bonne chair souple du moral de Lydia.

La pauvresse fut prestement menottée et conduite au poste malgré ses protestations :

-Mais c’est qu’un maroilles, Monsieur l’agent, y a pas de quoi en faire tout un fromage !! »

Les coudes bien calés sur les appuie-bras du banc, Lydia engloutit l’excellent carré orangé à une vitesse record. Et il ne fallut que le temps de la digestion pour qu’elle recouvre son excellent moral habituel, et que le petit Martin récupère lui aussi joie et de vitalité !

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J’ai imaginé ce petit texte dans le cadre du Challenge d’écriture  proposé par Marie sur son blog : L’atmosphérique. Il s’agissait d’inclure les 9 mots suivants : espace, voyage, cercle, absence, enfants, bulle, contradictions, branquignol, intuition.

La place du village était pleine. Les branquignols, les nullards, les clowns, les pantins cravatés se tenaient sur l’estrade.  Un véritable cercle de tocards réunis pour rivaliser de bêtise, de mensonges et de lieux communs. Pourtant, les braves gens écoutaient, regardaient… médusés ; comme des oies, on les gavait  de promesses visqueuses. Peu importaient les contradictions dans les discours, ils absorbaient les outrances, gobaient les inepties. Les digèreraient-ils aussi facilement ?

Tout à coup, une grosse bulle de savon s’éleva au dessus de la foule; on aurait dit une montgolfière transparente valsant dans l’espace.

A son bord, tous les enfants du village riaient et pointaient du doigt leurs parents sur la place en contrebas. Eux, n’avaient pas remarqué l’absence de leur progéniture, tant ils étaient concentrés sur les balivernes des guignols en costume.

A l’intérieur de la bulle, ça dansait, ça s’amusait, ça voyait la vie en rose au-dessus des nuages gris qui assombrissaient le village. Mais quel voyage s’apprêtaient-ils à faire ? Pour quelle contrée lointaine étaient-ils en partance ? Les enfants n’en n’avaient pas la moindre idée… Pourtant leur intuition leur susurrait : Ne t’inquiète pas, quitte le très bas, élève-toi, et tu vivras la vraie vie !

Les desideratas de Monsieur Chat

Le texte ci-dessous m’a été inspiré par cette photo de Diana Parkhouse  dans le cadre de l’atelier BRICABOOK numéro 417.

Je me suis fait tirer le portrait au célèbre Studio Harcourt ! Pourquoi, vous demandez-vous ? Parce qu’un beau mâle comme moi le vaut bien pardi ! Je sais pourtant qu’avec ma prestance et mon sublime profil gauche,  un photographe moins chevronné aurait tout aussi bien fait l’affaire… Mais bon, je ne veux rien laisser au hasard pour rencontrer l’élue, THE Minette digne de porter ma descendance ! Car ce portrait, je vais le confier à Madame Chavalfaire, la chatonne à l’œil bien coupé de l’agence « Ronrons et plus si affinités » Cette professionnelle des cœurs félins a déjà marié Filou le gros matou du crémier et Chalopard le borgne du clochard de la rue des Poubelles. Alors avec moi, qui suis autrement plus séduisant que ces deux là, le challenge sera aisé, cha va de soi !

Je n’ai pas de préférence concernant la couleur de ma charmante, tant que sa fourrure est dense,  brillante et bien brossée ; j’aime autant, les noires, les blanches, les rousses, les écailles de tortues ou les tigrées comme moi-même. En revanche, je préfère éviter les chattes dites « de race » qui sont souvent moins intelligentes que les « gouttière » et bien trop prétentieuses !  J’ai autrefois fréquenté une Persane qui ne cessait de se pavaner devant l’armoire à glace de sa maitresse, un Top Model de chez Chanel, et une Siamoise qui se prenait pour La Challas ! Elle miaulasssait à longueur de nuits dans tout le quartier ! Et aussi une Chartreuse, toujours en chasse qui aguichait sans aucune retenue tous les Raminagrobis et les Grippeminauds  de Chaville !

Non, ce que je désire, c’est une beauté simple à la démarche chaloupée et au langage châtié  qui me ferait de beaux petits et ne me causerait aucun chagrin. Ah ! J’ai lu Pagnol, moi, et je sais le mal  qu’une Pomponnette peut faire à son brave Pompon ! Alors je la voudrais chage et chaleureuse, ma châtelaine, avec de belles moustaches frisées et des jolies mimines aux coussinets roses !

Ciao !

La voiture

Une chose est sûre

Je déteste la voiture

Je préfère aller à pied

Par les rues et les sentiers

Quand je ferme une portière

Je ressens toute la misère

D’un tigre coincé dans sa cage

Ou d’un mauvais aiguillage

Je n’aime pas ses ceintures

Raides comme la toile de bure

J’exècre ses odeurs

D‘essence et de sueur

J’abhorre sa vitesse

Son manque de délicatesse

Quand elle tourne dans un virage

Je me retrouve tout en nage

Quand elle double un gros camion

Je suis secouée de frissons

Pour qu’elle évite une belette

Je prie sur la banquette

Je ne suis au repos

Que lorsqu’on soulève son capot

Et qu’on découvre une grave panne

Qui la cloue dans la campagne

Alors je sors de l’habitacle

Et je vis un vrai miracle

L’herbe fraiche sous mes pieds

Je respire les châtaigniers

Mon corps se désengourdit

Mes jambes secouent leurs fourmis

J’irai donc en vacances en marchant

Même si cela me prend mille ans

Je compterai mes pas sur mon portable

Je défierai le raisonnable

Une chose est sûre

Je déteste la voiture !

Trois portraits chinois et variés

Veg-Anne n’a jamais été grasse, elle éclot dés l’aurore et va gambader dans la rosée de son potager, aussi légère qu’une scarole. Ce n’est pas une couche-tard non plus, elle ne tient pas à flétrir, d’ailleurs, elle ne boit que de l’eau pleine de sels minéraux. Quand je déjeune dans sa serre, j’admire ses mains diaphanes comme le céleri rémoulade et ses jolies pommettes aussi roses que ses radis croque-au-sel. Parfumée comme une carotte râpée à la menthe fraîche, elle embaume nos tête-à-tête, et la fraîcheur de sa conversation a le charme du concombre en rondelles. Les sujets d’actualité lui donnent des aigreurs, elle préfère parler vinaigrette, sauce tartare et aromates. Il y a un mois, j’ai osé lui avouer mes tendres sentiments, mais elle est devenue rouge comme une tomate cerise ! J’ai tout de même insisté, je lui ai ouvert mon cœur d’artichaut et j’ai plaidé ma cause (il faut dire que je suis avocat) mais elle a viré couleur betterave ! Je crois qu’elle n’a pas apprécié la crudité de mes propos… Depuis ce jour, nous ne nous voyons plus, mais je lui fais livrer chaque dimanche des petits bouquets de choux-fleurs, je crois qu’elle préfère ça à mes salades !

Monsieur Berger est bien brave. Il garde consciencieusement l’immeuble et se trémousse quand on le salue. Jamais il ne grogne, mais son gros nez plissé suffit à refouler les intrus. Chaque matin il rapporte le courrier. Quand l’évier fuit dans la cuisine ou qu’il faut changer un fusible, il n’y a qu’à le siffler et il rapplique illico. De ses gros doigts patauds, il répare toutes les pannes et ses bons yeux vous couvent de toute leur reconnaissance quand vous le remerciez. Parfois, Monsieur Berger tombe amoureux, le mois dernier il bavait devant la demoiselle du cinquième et il se mettait à l’arrêt quand elle passait devant sa loge ! Mais Monsieur Berger reste fidèle, jamais il ne trompera Madame Berger qui lui a quand même fait quatre petits ! A la saison des grandes vacances, il suffit de caresser Monsieur Berger dans le sens du poil si vous voulez qu’il arrose vos plantes ou vous fasse suivre le journal ; et au moment des étrennes vous aurez un plaisir fou à le voir frétiller en acceptant votre petit billet !

Charlot se traîne sur le trottoir comme un vieux chariot de mémère. Dans son pardessus à carreaux il progresse, lourd et bringuebalant, pas à pas. Ses tristes pensées et ses souvenirs anciens débordent comme des poireaux fanés et des laitues fripées. Il revoit Marie-Jeanne quand elle avait vingt ans et qu’ils étaient tout juste mariés. Son chagrin pèse plus lourd qu’un sac de pommes de terre, plus lourd que cette terre qui recouvre le cercueil de Marie-Jeanne… Charlot voudrait la retrouver. Son pardessus d’un autre temps détone parmi les manteaux colorés des passants. Tout le monde est plus jeune que lui maintenant, Charlot a 95 ans, il ne croise plus jamais personne de sa génération. Ses jambes grincent et son armature craque, il n’a plus envie d’avancer, aucune main n’est là pour le soutenir ni le traîner. Charlot s’écroule sur le trottoir, ses souvenirs anciens s’éparpillent dans le caniveau comme des légumes périmés…  

Le monstre du train fantôme

Fait divers:

Foire du trône, hier, 23 heures

Le monstre du train fantôme

A kidnappé la marchande de pommes d’amour.

Déposition de Dédé :

Moi, Dédé, le monstre du Train Fantôme, j’en pouvais plus ! Quinze ans que j’faisais ce boulot ; quinze ans que j’croisais des trognes tordues par la trouille ; quinze ans que j’ supportais les gueulements des belettes qui faisaient dans leur culotte et les minots avec le trouillomètre à zéro…Mais bon, j’l’avais bien cherché quand j’avais dit ok pour ce gagne pain, parce que j’avais la tête de l’emploi et pas l’diplôme pour faire docteur.

En plus, le grand Bébèl, mon boss, il m’foutait les nerfs avec Mimi Calamité, la tenancière des auto-tamponneuses ; Les deux, ils passaient des plombes à se sucer la pomme dans un  wagon du Grand Huit, leur bouche pleine de barbe à papa ! J’en avais vraiment ras la casquette… Pourquoi j’aurais pas l’droit à un p’tit béguin moi aussi, à une p’tite gonzesse qui m’ bécoterait l’museau…

Alors, à 23 heures, ce samedi-là, pendant que la fête battait son max, j’ai décidé de m’barrer d’mon poste et d’aller traîner la savate dans les allées de la foire. Quand ils me r’péraient, les gosses se cachaient dans les jupes de leur mère, les poulettes se carapataient, et leur mecton sortaient les poings. Moi, j’me sentais de plus en plus mal… dans le Train Fantôme ou dehors, c’était kifkif, j’fichais la trouille… personne pouvait m’blairer ! Je m’trouverais jamais de p’tite belette !

Alors, j’ai tracé vers le stand des bombecs. Y avait des tonnes de sucettes, de roudoudous, de croustillons, de sucres d’orge, de guimauves et de beignets bien gras sur l’étal ; et au milieu de tout ça, Fanny Rigolette, la marchande aux joues roses et aux bouclettes jaunes. Quand elle m’a vu, elle s’est fendu la tirelire, c’était la première fois qu’on m’donnait ça, à moi, un sourire… et puis, elle m’a tendu une pomme d’amour. Moi je lui ai dit : « Et si on se barrait tous les deux ? » Et elle, du tac au tac, elle m’a répondu qu’elle en avait sa claque des bombecs et du boucan d’la foire, qu’elle  rêvait que d’cambrouse et de p’tits zoziaux !

C’est comme ça qu’on s’est fait la malle, elle et moi.

Y a pas eu kidnapping, M’sieur l’agent, je vous l’jure ! Vous avez qu’à cuisiner Fanny Rigolette si vous m’croyez pas !

Un amour géométrique

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L’homme rond et son petit colis carré se hâtent vers la poste.

Ovale de grâce est expédié ce joli paquet, Paris cinquième, Hexagone.

C’est à Mademoiselle Losange qu’il est destiné.

Hier, elle s’est fait opérer du cœur et a été sauvée !

Son cœur à lui, à l’homme rond, bat la chamade,

Dans le petit colis carré se cache un polyèdre flamboyant

Qui brillera merveilleusement

A l’annulaire cylindrique de Mademoiselle Losange.

L’homme rond a la tête dans les étoiles…

Ellipse

Les années ont passé, rectilignes de bonheur

L’homme rond et Mademoiselle Losange

Habitent un petit rectangle à l’angle de deux perpendiculaires

Ils regardent leur canari qui se balance sur son trapèze

En écoutant le disque de Delerm « Les amants parallèles »

Quand ils mourront, leurs amis  réciteront la belle parabole

De leur amour pareil à une parfaite sphère,

Et sous la même pyramide ils seront mis en terre.

MH