Cabine bloquée

Le texte ci-dessous m’a été inspiré par cette photo de Liam Seskis dans le cadre de l’atelier BRICABOOK numéro 431

Nous sommes en 1980, les téléphones portables n’existent pas encore. Pierre, jeune parisien et Steven, étudiant américain à Paris, sortent de leurs cours à la fac de Jussieu :

P- On va prendre un café ?

S- Wait my friend, avant, il faut que j’appelle mon pawents à Chicago… c’est bon la cabine est libwe !

P- Ok, je t’attends

S- Shit ! j’ai qu’une pièce de un fwanc ! tu peux me pwêter un peu ou pas ?

P- Mais ça va pas ! Me dis pas que tu sais pas comment on bloque une cabine ?!

S- Quoi ? Qu’est-ce-que tu dis ? je ne compwends pas…

P- Mais putain mon pote, me dis pas que tu payes pour téléphoner ?

S-Bah, si, comment faiwe autwement ?

P- Rentre dans la cabine avec moi, je vais te donner un petit cours, tu vas voir… File-moi ta pièce et observe

S- Hey, attention, j’en ai qu’une de pièce !

P- T’inquiète… non seulement tu vas pouvoir parler à ta famille aussi longtemps que tu voudras, mais cette pièce-là, tu vas même pas la dépenser !

S- Je te cwois pas…

P- Regarde bien, la pièce je l’introduis de la main droite dans la fente, comme ça, mais surtout je la lâche pas !

S- Ok…

P- Et maintenant, avec l’index gauche, sois bien attentif à ce que je fais… je m’en vais faire osciller…

S-« Osciller » ??

P- Oui, enfin, vibrer, si tu comprends mieux…

S- Vibwer, ok

P- Je vais donc faire vibrer de façon rapide et continue le support métallique sur lequel repose le combiné avec l’index gauche, comme ça,

Tac tac tac tac tac tac tac tac tac tac tac tac tac tac tac tac tac tac tac tac

Ça y est, j’ai la tonalité. Maintenant, je tape le numéro…c’est quoi leur numéro, à tes darons ?

S- A mes quoi ?

P- Heu… Pardon, à tes parents

S- Zero zero one four five seven two five seven one eight six tree one one

P- Hey ho, pas si vite, et en français dans le texte, if you please my Lord !

S- Ok, ok, alows, ça fait : zéwo, zéwo, un, quatwe, cinq, sept, deux, cinq, sept, un, houit, six, twois, un, un.

P- ………………………………. Six, trois, un, un. Voilà mon pote, alors regarde bien…  je tiens toujours ma pièce de un franc entre mon pouce et mon index droit, à moitié glissée dans la fente, ok ?

S- Yes !

P- Je relâche en douceur le support métallique, je récupère ma pièce, et là, Ô miracle, l’outre-Atlantique gratis !! Hello Mister, I give you Steven your « fiston » … Désolé mon pote, j’me débrouille moins bien en anglish qu’en mécanique…Tiens, je te passe ton daddy

S- Ah, ces Fwançais, quel talent !!! Mewci beaucoup mon pote !

Hy Dad, how are you ? and what is the weather like in Chicago? ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

Trois heures plus tard

Good-Bye Dad, good-bye Mum !

P- Bon, Steven, je crois que tu me dois bien un petit café !

S- Désolé, mais j’ai toujouws que une pièce de un fwanc !

Commerce de bouche

Le texte ci-dessous m’a été inspiré par cette photo de Fred Hedlin dans le cadre de l’atelier BRICABOOK numéro 430

– C’est quoi ce magasin, Maman ?

-Une boucherie, mon petit Gaspard.

-Et qu’est-ce qu’on y vend ?

-Réfléchis un peu mon chéri !

-Bah… Dans une poissonnerie, on vend des poissons, dans une épicerie, on vend des épices, dans une horlogerie, des horloges, à la fromagerie, des fromages, alors à la boucherie, on vend surement des bouches…

-Tu vois quand tu fais un effort, tu finis par trouver, Gaspard !

-Et pourquoi, y a des rideaux ?

-Pour qu’on ne voit pas les gens qui viennent se faire charcuter la bouche, c’est un peu dégoutant tu sais…

-Mais pourquoi les gens, ils veulent changer de bouche ?

-Pour toutes sortes de raisons, Gaspard

-Lesquelles ?

-Eh bien, Monsieur Taiseux notre voisin, par exemple, il a amené sa femme ici pour lui faire boucler la bouche parce qu’elle était trop bavarde…

-La pauvre !

-Mais non, c’est beaucoup mieux pour tout le quartier, tu sais.

-Et y a qui encore, qui a changé de bouche ?

-Mademoiselle Joli, l’esthéticienne, elle a pris rendez-vous pour son fiancé la semaine dernière, et elle lui a fait changer sa bouche en cul de poule pour une bouche en cœur!

-Et il est plus beau comme ça, le fiancé ?

-Ah ça, oui… mais du coup, toutes les filles restent bouche bée quand il passe dans la rue, et Mademoiselle Joli est hyper jalouse !

-Ah bé zut alors, et qui d’autre est allé à la boucherie ?

-La mère Gisèle ! Elle avait tellement de bouches à nourrir qu’elle y a trainé tous ses gosses pour leur faire implanter des bouches cousues !

Et l’oncle Jacques qui en avait toujours plein la bouche de Céline Dion, une nuit, la tante Gilberte a fait venir le boucher à domicile et pendant son sommeil, il lui a évacué toutes les petites Célines qu’il avait jusqu’au fond du gosier !

-Et depuis, il a la bouche vide ?

-Non… malheureusement, l’opération n’a pas très bien marché, maintenant il a la bouche pleine de Lara Fabian, alors c’est pas mieux…

Et mon amie Marie-Adélaïde, qui faisait toujours la fine bouche devant mes gâteaux, devine ce qu’il lui est arrivé ?

-Je donne ma langue au chat, maman…

-Pour ses cinquante ans, je lui ai fait croire que je lui offrais des lèvres gonflées à l’acide hyaluronique, elle était toute contente, mais en vrai, je l’ai amenée à la boucherie pour lui faire poser une bouche d’égout ! depuis, elle adore toutes mes pâtisseries !!

-Ah bé ça alors… Maman, promets-moi qu’on ne rentrera jamais dans cette boucherie !

– Alors toi, Gaspard, promets-moi de bien manger tous tes épinards et d’arrêter les bonbons, sinon, je te fais greffer un bec salé à la place de ton bec sucré !

L’efficacité du poirier

Quel réconfort, par ces matinées d’hiver glaciales, de trouver mes deux gants de laine bien rangés au pied de mon lit ! J’y glisse mes mains avec délectation et commence mon parcours en poirier dans le couloir. Mon pied droit est à hauteur parfaite pour appuyer sur l’interrupteur et faire en sorte que la lumière soit dans la cuisine. Quel plaisir d’observer de si près le carrelage reluisant et le dessous de table si bien nettoyé… mais soudain, que vois-je ? Un infâme chewing-gum mâché et collé sous la chaise de mon fils ! Ce petit sacripant mériterait un bon coup de pied où je pense ! Vivement qu’il ait l’âge de raison et se tienne lui aussi à l’envers comme sa mère! Il n’aura ainsi plus d’autre choix que de dîner à même le carrelage blanc ! Impossible de dissimuler son chewing-gum dans ces conditions.

 Beurk, mon nez est aussi à hauteur idéale pour humer pleinement la litière non immaculée de mon chat ! Habilement, je soulève du sol l’une de mes mains gantées pour attraper la pelle et déverser les granulés souillés dans le sac poubelle dédié aux ordures non recyclables.

Dieu du sol ! Les assiettes d’hier soir n’ont même pas été vidées ! Aussi paresseux l’un que l’autre, le père et le fils… heureusement que le saint esprit est là pour les basses besognes ! Comme toujours, l’auge de mon mari regorge de déchets divers ; une vraie corvée de racler tous ces détritus ! La mienne est bien sûr impeccable ! Savez-vous que je mange même les pépins de pomme ? Par goût, par dégoût des restes, mais aussi par prudence, car ils contiennent une dose infime de cyanure ; ainsi, en en dégustant chaque jour quelques-uns, je suis assurée que le jour où mon époux  voudra m’empoisonner, je serai totalement immunisée !

Il est temps maintenant d’amorcer ma descente aux enfers du local poubelle. De main de maître, mon pied droit tourne la clef dans la serrure, tandis que le gauche pince le sac d’ordures avec ses deux orteils les plus costauds.

Je préfère prendre l’escalier plutôt que l’ascenseur, pour l’amour du risque et de l’exercice ! Seul inconvénient, j’ai plus de chances de croiser la mère Larigueur du rez-de-chaussée. Justement, la voilà qui me guette sur son paillasson, avec ses mocassins taille 42 et son tailleur pied-de-poule … Je ne lui serre pas la main avec mon panard droit car je crois savoir que cela la dégoûte, mais je lui fais un pied de nez (qu’elle ne voit même pas, car elle ne s’abaisse jamais à mon niveau)  Il faut dire qu’elle fait bien son mètre quatre-vingt-dix, la madame, et que se plier en deux pour reluquer ma trogne est pour elle un effort surhumain.

« – Beau temps en altitude ? » lui demandé-je pour être courtoise

-Oh oui, quel pied, ce ciel bleu aujourd’hui ! »

Puis, je continue ma descente vers le sous-sol, il est bientôt à portée de main, mais les marches sont maculées d’immondices… Heureusement que j’ai mis mes gants, la prochaine fois je porterai aussi mon masque. Ah, le masque… cela me fait penser au premier confinement ; à cette époque, la promenade aux poubelles était une  distraction prisée que mon mari, mon fils et moi-même nous disputions !

Mon pied droit dépose le sac de non-recyclable dans le grand container bleu, tandis que le gauche fait tomber à grand fracas la bouteille de Château Pied d’Argent dans la poubelle du verre. Chut ! lui dis-je, tu es bête comme un pied ou quoi… on va encore se faire repérer ! C’est fou comme dans notre cage d’escalier, le bac dédié aux bouteilles en verre est toujours plein, alors que dans le bâtiment d’à côté, il regorge de bouteilles d’eau !

Il est maintenant temps de quitter le sous-sol ; allégés de leur fardeau, mes pieds frétillent et se réjouissent à l’idée d’éplucher des pommes de terre, avant de s’alanguir sur le canapé devant leur film culte : My left foot, vous connaissez ?

Sauvetage

Consigne : Imaginez une histoire à partir de ces 3 photos.

Au très select « Comité de Protection des Végétaux en Péril », c’est l’effervescence. Une nouvelle exceptionnelle vient de paraitre dans le journal. Gonzague de Saint Albray et toute son équipe n’en croient pas leurs yeux.

Gonzague – Il n’en reste plus qu’un seul spécimen, et il est en Colombie, qui l’eut cru ?!

Marie-Antide – Incroyable! Tout esseulé en ce milieu aride et escarpé, je n’en reviens pas!

Claude-Bernard – Et dire qu’avant on les dégustait en salade !

Jean-Axel – Et on les massacrait à la tondeuse !

Marie-Sophie – Oui, et on soufflait dessus quand ils étaient fanés, on les décapitait, en somme…

Anne-Bernadette – Un peu comme les marguerites, je t’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout…

Gonzague – Personnellement, je n’ai jamais joué à ce jeu stupide, déjà enfant j’avais un grand respect pour les plantes, même les plus triviales.

Marie-Antide – Oui, et puis à quoi bon ce jeu puisque vous saviez déjà à six ans que votre « moman » serait la femme de votre vie, alors pourquoi torturer les fleurs ?

Gonzague – Seriez-vous jalouse, Marie-Antide ?

Anne-Bernadette – Rho… Cessez donc de vous houspiller tous les deux et trouvons plutôt une manière de faire revenir le pissenlit en Europe !

Filibert – Organisons un voyage !!

Gonzague – Facile à dire, mais qui le financera ? Les caisses de notre comité sont à sec depuis que Marie-Sophie et Claude-Bernard ont tout raflé pour la réception de leur mariage…

Marie-Antide – Ah bon ? Quelle honte ! Je n’étais pas au courant ! C’est scandaleux !

Filibert – Calmons-nous, calmons-nous et gardons à l’esprit que nous venons d’apprendre la nouvelle la plus réjouissante depuis l’extinction du rhododendron !

Gonzague – Nous partirons donc en voyage, mais, chichement.

Anne-Bernadette – Chiche que nous voyagerons chichement, parole de pois chiche !

Filibert – Un vieux coucou pour commencer, je sais qu’ils en proposent à Orly, d’anciens Boeing 707 qui ont un peu de plomb dans l’aile !

Marie-Sophie – Génial Filibert, mais une fois à Bogota, comment rallierons-nous les hauts plateaux arides ?

Claude-Bernard – Nous achèterons un van, ils en vendent en pièces détachées là-bas, ainsi pas de frais de logement, notre moyen de locomotion sera également notre hôtel !

Gonzague – Diantre ! Sept dans un van ! Qui de nous supportera cette promiscuité ? Surement pas Marie-Sophie et ses habitudes de princesse …

Marie-Sophie – Pour le retour de la fleur jaune en Europe, je me sacrifierai !

Tous – Un pour tous et tous pour le pissenlit !

Bjarkar

Dans le cadre de l’Agenda Ironique du mois de mai, Photonanie nous propose d’écrire un texte qui se passera dans un pays froid, l’Islande éventuellement. Elle aimerait assez que s’y glissent les mots suivants: ailurophile, syllogomanie, bec à foin et puis aussi coquecigrue parce qu’elle aime bien ce mot. Si en plus le texte se présente sous forme d’anadiplose, elle sera comblée !!

Bjarkar  était un bec à foin. « Bec à foin » qui se disait  « hálfviti » dans sa langue islandaise, et qui n‘en voulait pas moins dire qu‘il était sot et naïf. Naïf au point de croire qu‘il pourrait, lui, pauvre petit éleveur de moutons, séduire Björk la célèbre chanteuse au faciès de chat. Chats dont il était fan depuis sa plus tendre enfance, lorsque sa maman avait rapporté à la ferme, une pauvre bête transie de froid trouvée au pied du glacier Vatnajökull.
C’est donc ainsi que Bjarkar était devenu ailurophile, sa passion le poussant à adopter tous les félins errants du secteur et à rêver en secret à Björk, l’illustre femme chat qu’il épouserait un jour.
Un jour mais pas tout de suite…. car pour oser installer la star du rock à la ferme familiale, il devrait, outre le rangement et le nettoyage de toutes les litières, gamelles, coussins et autres arbres à chats, se débarrasser de l’amoncellement  de boites,  cartons, canettes, caisses, journaux, magazines et papiers divers qui  jonchaient le sol de toute la maison. Maison devenue une vraie poubelle après la disparition de la maman  et la syllogomanie aggravée de Bjarkar.
Bjarkar, très sûr de lui, n’écouta pas ses voisins quand ceux-ci lui dirent qu’il ne viendrait jamais à bout de son capharnaüm : Coquecigrues ! («vitleysa» en islandais)
Lança-t- il à tous les dubitatifs, Foi de Bjarkar, j’y arriverai et la femme chat m’épousera !
Fort de sa détermination, Bjarkar commanda un camion benne dès le lendemain. Lendemain qui fut le premier jour du reste de sa vie. Vie qui fut complètement chamboulée après les opérations de tri, de déblayage, d’assainissement et de décoration qu’il mena en sa demeure. Demeure qui faisait désormais l’admiration de tous ! 
Quelle ne fut pas la stupéfaction des villageois lorsqu’ils virent la célèbre chanteuse au minois de chat franchir le seuil de la ferme dans les bras de Bjarkar le bec à foin !
 Bec à foin, finalement, il ne l’était pas tant que ça !

	

Marinette et le loup

Consigne : Ecrire un texte qui se passera la nuit dans la montagne au XIX -ème siècle et où il sera question d’un chat, d’une jeune fille et d’un verre à pied.

Avertissement : Aucune intention politique, juste de la grosse farce !

On dit que la nuit, tous les chats sont gris, et pourtant en cette nuit d’hiver glaciale, c’était la jeune Marinette qui était grise. Grise des trois verres de vin qu’elle avait bus pour se réchauffer dans ce refuge montagnard où son père et elle faisaient escale, en chemin pour le Pic du Vautour.

Son père, le bon berger Jeannot Lassalle, avait promis Marinette à l’ogre Méchanchon qui vivait tout là-haut. S’il lui offrait sa fille en mariage, Méchanchon avait assuré qu’il ne s’attaquerait plus à aucun des moutons du troupeau et qu’il trancherait même la gorge aux jeunes loups qui s’aventureraient à le faire.

Le nez trempant dans son verre à pied (car elle l’avait long) Marinette se demandait pourquoi les verres étaient si chics en ce refuge pourtant si précaire. Alors elle se mit à songer à Peau d’âne qui avait transformé l’immonde taudis où elle logeait en une cabane raffinée pleine de dorures, d’objets précieux et de robes merveilleuses. Elle aussi rencontrerait peut-être un prince qui dévierait l’affreux destin qu’on lui réservait.

Alors que le vieux Jeannot Lassalle ronflait à même le sol près de la cheminée, Marinette décida de s’aventurer à l’extérieur, son verre à pied toujours à la main. La nuit était profonde. Aucun son, aucune lueur à part l’Etoile du Berger au-dessus de sa tête : Non, non ne me parlez plus de bergers, je vous en supplie !! Hurla-t-elle au néant avant de s’effondrer en pleurs dans la neige poudreuse qui crissa sous son poids (car Marinette était fort rondelette)

C’est alors qu’elle entendit des loups hurler au lointain : Haouou, haouou, haouou !!! Les cris semblaient se rapprocher dangereusement du lieu où Marinette était tombée. Elle essaya de se relever, mais, impossible, elle était trop grise, trop saoule même, pour tenir sur ses deux pieds. Qu’importe, dévorez-moi, bêtes sauvages, puisque de la vie, je n’ai plus rien à espérer…

C’est alors que le chef de la meute s’approcha si près de son visage, qu’elle put voir ses yeux briller dans les siens. A sa plus grande surprise, le loup se mit à lui parler dans un langage des plus châtiés :

-« Marinette, belle et blonde Marinette,  veux-tu toujours fuir ton mariage arrangé avec l’ogre Méchanchon ?

– Oh, que oui, beau loup, mais comment le pourrais-je … mon père le berger Jeannot Lassalle a tous les pouvoirs sur moi et je ne puis lui désobéir, à moins que …

– A moins que tu ne me donnes ta voix, mignonnette Marinette ! Si tu chantes pour moi, je te saupoudrerai de poudre de perlimpinpin et tu échapperas à ta funeste destinée ! Je t’emmènerai dans une contrée côtière qu’on appelle Le Touquet !

– Mais quel est donc ton nom, beau loup des neiges ?

– Manu Macroc, ma splendeur !

Alors, de sa voix la plus suave Marinette entonna la Marseillaise et le loup se transforma aussitôt en un beau prince élancé au regard bleu, au nez pointu et à la chevelure claire.

Ils se marièrent mais n’eurent aucun enfant car Marinette n’était finalement pas si jeune que ça, et que le prince Manu Macroc avait bien trop de travail à diriger le royaume de France !

Les seize mollets d’Edgar

Elles n’étaient pas timbrées les huit filles de la carte postale. Elles avaient simplement accepté de montrer leurs mollets à Edgar.

Edgar, c’était le jeune instituteur du village, et Justine, Delphine, Pauline, Nine, Joséphine, Iseline, Léontine et Augustine en étaient toutes amoureuses.

Le soir du bal de la Saint Jean, Edgar avait dansé avec elles huit, chacune leur tour ; mais il n’avait su choisir entre les boucles de Justine, les yeux bien coupés de Delphine, le parfum boisé de Pauline, les bras enveloppants de Nine, la bouche en cœur de Joséphine, le petit nez en trompette d’Iseline, les pommettes roses de Léontine et les taches de rousseurs d’Augustine.

Alors, il leur avait fait cette surprenante proposition : 

«   – Rendez-vous dimanche prochain sur la plage du Port Vieux et vous soulèverez vos jupes pour moi.

-Hoooooooooooo !!! Protestèrent les huit donzelles effarouchées.

-Mais enfin, rassurez-vous mes jolies, je ne souhaite pas regarder plus haut que ne l’autorise la décence ! Je veux juste un aperçu de l’arrière de vos  tibias… de vos mollets si vous préférez. Car, voyez-vous, j’ai pour cette partie de l’anatomie féminine une tendresse et une admiration toutes particulières ; en effet, c’est le long des mollets de ma chère « moman » que je m’endormais lorsque j’étais enfant, un peu comme au creux de deux traversins moelleux…

Rassurées, les huit poupées acceptèrent. Et c’est ainsi qu’en ce dimanche premier juillet 1900, elles étaient là, en rang d’oignon, dos à Edgar,  leurs orteils frétillant dans le sable fin.

-Un peu plus haut Mesdemoiselles ! Je ne vois que de petits petons très mignons et des chevilles fort gracieuses mais c’est autre chose que j’attends comme vous le savez… Allons, allons, plus haut, plus haut !

C’est alors que l’émerveillement, l’enchantement, que dis-je, l’éblouissement frappa Edgar ! Il y en avait de toutes variétés : des ronds, des fins, des dodus, des quilles, des poilus, des lisses, des marbrés, des timides, des volontaires, des blancs, des bronzés, des marcheurs, des paresseux… Mais comment diable faire son choix parmi toutes ces splendeurs ? Ces petits monticules de chair et de muscles auraient tous eu leur place au Musée de la Femme !

Alors Edgar se mit à quatre pattes et les embrassa un à un : seize baisers sur des rotondités plus douces que des joues de nourrissons.

-Mes jolies, après contemplation et embrassades, je ne puis toujours pas me décider… Vos mollets sont plus envoutants que les collines de Rome ! Voilà donc ce que je vous propose : Une croisière à vie, tous ensemble, sur notre bel Atlantique !

Depuis ce jour, un magnifique voilier nommé « Les seize mollets d’Edgar » vogue au large de la Côte Basque, et il n’existe de communauté plus réjouie que les neuf personnes à bord !

Joey le canapé

Joey le canapé était là. Planté au milieu du salon. Ses formes arrondies et son revêtement « effet peau de pêche » lui donnait un look chic mais un peu désuet, conforme à celui de son propriétaire.

Il se demandait bien quels séants inconnus Paul  ramènerait ce samedi soir ; Pourvu qu’il n’aille pas draguer du coté de Pigalle… les arrière-trains de ce quartier portaient volontiers des étoffes synthétiques aux  couleurs criardes qui irritaient le gout et le tissu si délicats de Joey.

Mais il avait surpris une conversation téléphonique : Paul parlait avec Julien son camarade de toujours, un homme dont Joey appréciait les pantalons de velours côtelés Burton of London.

Il semblait que Paul et Julien aient décidé de sortir dans le seizième arrondissement cette fois-ci. Ils y avaient l’adresse d’un bar à vin des plus coquets.

A vingt heures pétantes, Paul claqua la porte de son petit appartement parisien et Joey le canapé se retrouva seul aux prises avec les griffes de Moustachu, l’arrogant Persan qui le grattait dés que Paul avait le dos tourné. Joey souffrait en silence de tant de maltraitance, mais que pouvait-il  faire… il n’existait aucun numéro de secours « SOS Canapés Griffés ».

Autour de minuit, Joey ouvrit bien grand ses accoudoirs : oui, c’était bien la clef de son propriétaire qui tournait dans la serrure. C’est alors qu’il vit dans l’encadrement de la porte le long fourreau de soie noir qui accompagnait Paul.

-Et voici mon modeste logis,  Bérangère !

-Modeste, modeste… charmant je dirais, et très cosy, hooooooo, quelle adorable table basse !

-Oui, je viens d’en changer, je l’ai dénichée chez Roche Bobois

-Je l’adooore ! En revanche, le canapé aurait peut-être besoin d’un remplaçant lui aussi, sa couleur est passée et il semble quelque peu affaissé …

-Vous avez tout à fait raison chère Bérangère, au prochain passage des encombrants je m’en débarrasse ! J’ai repéré chez Poltronesofà un modèle très chic et confortable. Mais en attendant, asseyiez-vous, je vous en prie Bérangère. Je vais chercher deux coupes et une bouteille de ruineux Ruinart à la cuisine.

Joey n’en revenait pas ! Que la pimbêche le critique, c’était une chose, mais que Paul, son fidele propriétaire veuille se débarrasser de lui !!!

Avait-il simplement dit cela pour aller dans le sens de la fille et la séduire  plus efficacement, ou bien le pensait-il vraiment ? Inutile de se poser mille questions, il allait se venger « illico presto » pour parler comme les vulgaires banquettes de chez Poltronesofà.

-Aie !!!

-Que vous arrive-t-il chère Bérangère ?

-Mais c’est affreux, on sent tous les ressorts de votre vieux canapé !

-Vous êtes sûre ? Je n’avais jamais remarqué… mais, vous êtes tellement mince, Bérangère ! Aucune couche de graisse sur votre fessier pour amortir les défaillances de ce pauvre  Joey…

-Joey ??

– Oui, Joey mon canapé

-Parce qu’il a un nom en plus ?!

-Oui, ici tout porte un nom, il y a Moustachu le chat, Robert le lampadaire, Jipsy le tapis, Grace la table basse, René le buffet et Joey le canapé.

-Bon, et bien puisque vous êtes en si belle compagnie, je vous laisse avec…Charlemagne le champagne, c’est ça ??

Sur ces mots, Bérangère tourna ses talons aiguille et claqua la porte. Paul ne chercha pas à la retenir. Il se servit une petite coupe, retira ses mocassins à glands et s’allongea sur Joey avec un soupir de soulagement :

-Alors Joey, maintenant que tu connais les bêcheuses du seizième, tu ne vas plus critiquer mes petites pinup de Pigalle, n’est-ce-pas ? Et puis, je te rassure tout de suite, bien sûr que je ne vais pas te remplacer par un Poltronesofà, je les aime trop moi, tes ressorts farceurs et ton tissu râpé !!

Docteur Psychien et Monsieur Chatounet

-Allongez-vous sur le divan Monsieur Chatounet

– Ah… Le divan du Docteur Psychien, on m’en avait parlé mais cette fois-ci,  j’y suis…

-Qui, vous en avait parlé ?

– Monsieur Raminagrobis, l’un de vos patient qui a des relations compliquées avec son humain, mais aussi Mademoiselle Mini , une souris du restaurant

– Comment Monsieur Chatounet ? Vous bavardez avec les souris de votre restaurant maintenant ? Je croyais que vous y étiez employé entant que nettoyeur de rongeurs ?

– C’est bien cha mon problème Docteur Psychien…

-Développez…

-Je suis devenu végétarien

-Nom d’un chien ! Vous n’aimez plus la chair vive ?

-Ni vive, ni morte, même les restes d’entrecôtes des clients ne me tentent plus…

-Cha alors ! Voyons…est-ce que votre mère vous lisait le conte de Marlaguette quand vous étiez chaton ?

– Marlaguette ?

-Oui, l’histoire de ce loup qui devient végétarien pour faire plaisir à une gamine…

-Non, je ne crois pas…

– Le problème ne viendrait donc pas de l’enfance… Et, à quelle occasion vous êtes-vous rendu compte de ce changement chez vous ?

-Il y a une semaine, quand j’ai coursé Mademoiselle Mini dans les cuisines du restaurant, elle a failli faire une crise cardiaque, puis elle m’a raconté qu’elle était dans une association de cervidés contre la chasse à cour.

– Cha alors ! Voyons…est-ce que votre mère vous lisait le conte du Grand cerf quand vous étiez chaton ?

-Non, mais vous m’agacez à la fin avec mon enfance ! Ma mère, le soir, elle ne me racontait pas d’histoires pour chatons, elle se contentait de draguer tous les matous du quartier sur les toits !

-Je vois…Je vois… Avez-vous vu le film La chatte sur un toit brulant, quand vous étiez adolescent ?

– Mais ça suffit avec le passé ! Je vous parle d’aujourd’hui, moi, je vous parle de solidarité entre animaux différents, moi ! Je vous parle de lutte !

-Mais alors, pourquoi êtes-vous venu me voir ?

-Parce que je vais perdre mon job au restau si je ne bouffe plus de souris, moi !

– Mais, vous semblez avoir trouvé votre voie dans la politique, non ? Politichien, c’est votre destin !

-Politichat Pluto, politichat !

Un petit plus

Le texte ci-dessous m’a été inspiré par cette photo de Jakub Arbet dans le cadre de l’atelier BRICABOOK numéro 413.

Hier j’ai mangé des flageolets « des musiciens » comme on dit. C’était bon, mais alors… Qu’est-ce que je le regrette aujourd’hui ! Je n’ai qu’une peur, c’est que les bruits chantants de mes flatulences viennent parasiter le son de mon instrument…Quelle honte devant les passants ! Ce n’est pas aujourd’hui que je ferai recette. Enfin, on verra bien, je vais jouer la Sarabande de Bach, c’est un morceau très dynamique qui devrait bien couvrir mes gargouillis et autres pétarades.

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– Quelle interprétation fabuleuse de la Sarabande !!! M’interpella soudain une vieille dame en déposant un billet de 50 euros dans mon escarcelle. Mais je n’arrive pas à définir la nature du son si subtil qui accompagne votre instrument…

– Oh…ça,  c’est mon petit secret, je ne peux pas le révéler… Sinon j’ai peur que la magie n’opère plus…

Depuis ce jour, je ne me nourris plus que de haricots blancs, rouges, jaunes, Saint-Esprit à œil rouge, nombrils de bonne-sœur, orteils de pécheurs, mogettes, cocos et crochus de Montmagny et j’ai un public de fou !