Huit essais de haïkus (2)

Huit essais de haïkus (1)

Chaque jour passant

la blessure se referme

Magie de la peau

Le garde-fou et le gars Foulques

Le garde-fou a relâché le gars Foulques ;

Il lui a donné un peu de gardénal et un pot de gardénias

et il a dit : «  Fous le camp ! »

Alors le gars Foulques s’est enfui sous la foudre,

puis il s’est foutu sous les fougères en mangeant une fougasse

pour garder son calme.

Qui me l’a dit ? Le Figaro ou le Gorafi ? 

Gare aux blagues ! Je garde la réponse pour moi,

car au fond, tu t’en fous !

Une vie de cendrier

Madame Ignace, la gérante de la boutique Le Plaisir d’Offrir souhaitait moderniser sa vitrine avec la fête des pères qui arrivait à grands pas. Alors elle l’avait posé là, entre un service d’assiettes à dessert décorées de marquises en carrosse et une lampe champignon en pâte de verre ; c’était un cendrier jaune citron en forme de gros dé à jouer.

En cette année  1971, ce genre d’objets insolites étaient très à la mode. Sûr qu’il ferait fureur en le proposant à quinze francs :

-Ça va, ce n’est pas trop cher, Gilou ? Avait demandé Madame Ignace à son petit apprenti

-Non , non, ça me parait juste comme prix… Avait répondu Gilou.

Le gros cube jaune irradiait la vitrine comme un soleil et tout le monde s’arrêtait devant. Madame Ignace avait réussi son coup.

Collette en avait presque loupé la sonnerie de l’école ce matin là. Il était si beau à voir dans la vitrine, si gros, si carré, si jaune. Et maintenant, elle le tenait entre ses mains, cachée derrière son lit « des fois que Papa entre par surprise et le voie » Elle avait dit « non merci » quand Madame Ignace lui avait proposé un joli papier cadeau, elle l’emballerait elle-même, juste la veille du jour de la fête des pères ; comme ça, elle pourrait toucher et regarder le cendrier chaque matin et chaque soir avant et après l’école. Il lui faisait penser à un gros bonbon au citron ; les creux pour figurer les points, eux, étaient dorés, et à la place du six, il y avait un large trou où Papa écraserait sa cigarette. Si elle avait pu, elle aurait mordu dedans… tellement irrésistible ! Mais il était de faïence et non de sucre…

 Vingt ans plus tard

Sylvia avait essayé d’arrêter de fumer plusieurs fois, mais non, rien à faire, elle n’y parvenait pas. Pas malin, elle allait devoir racheter un cendrier alors qu’elle avait jeté tous les siens pour se motiver. Chez Emmaüs, ça ne serait pas trop cher, moins que le prix d’un paquet de clopes en tout cas.

Dans le grand entrepôt au toit de tôle ondulée, Sylvia se dirigea vers les étagères de vaisselle et de bibelots. Mon Dieu ! Comment avait-on pu créer des choses aussi laides ! Typique des années yéyé, cet immonde cendrier sur la planche du milieu. Mais quelle horreur ! Jamais elle ne mettrait ce truc jaune à pois dorés sur sa table basse. Et combien ils le vendaient ? Quinze euros !! Dingue ! Elle savait que les objets vintage avaient le vent en poupe , mais tout de même… de si mauvais goût…Fallait pas exagérer !

Sylvia ressortit du hangar et fila à la boutique « Aux Présents Design ». Gilou, le patron lui trouverait bien un cendrier sobre et élégant digne de son salon.

Malheureusement, la boutique était fermée. Etonnant… Gilou ouvrait toujours le mardi. Décidément tout allait contre Sylvia. Elle choisit donc de retourner chez Emmaüs. Peut-être n’avait-elle pas assez bien fouiné après tout.

A peine avait-elle à nouveau pénétré dans l’entrepôt, qu’elle tomba nez à nez avec… Je vous le donne en mille… Gilou ! le patron de la boutique « Aux Présents Design ». C’est donc là qu’il chinait au lieu de tenir son magasin.

-Bonjour Gilou, je suis passée chez vous et j’ai été très surprise de trouver porte close !

– Désolé, Sylvia, j’ai fermé exceptionnellement cet après-midi parce que Momo, l’un des employés d’ici, que je connais bien, m’a prévenu de l’arrivage d’un super lot d’objets vintage.

C’est alors que les yeux de Sylvia tombèrent sur le carton, aux pieds de  Gilou. Au milieu d’un bric-à-brac de verres, d’assiettes et de bibelots, il y avait le cendrier jaune citron en forme de dé à jouer.

A la main, Gilou tenait un magnifique bouquet de roses. Sylvia ne mentionna pas le cendrier mais osa une fine plaisanterie au sujet des fleurs :

-Et ce beau bouquet, ne me dites pas qu’il est vintage lui aussi ?

Il s’esclaffa.

-Non, il est de toute fraicheur, au contraire, je viens de l’acheter chez Florence la fleuriste avant de venir ici, j’ai quelques écarts à me faire pardonner avant de rentrer à la maison… d’ailleurs, à vous aussi je dois des excuses pour la fermeture de ma boutique sans préavis.

C’est alors que ce dragueur de Gilou préleva la plus belle rose rouge du bouquet destiné à sa femme et l’offrit à Sylvia.

Dégoûtée par la muflerie de Gilou vis-à-vis de son épouse, Sylvia jeta la rose dans sa poubelle verte qui trônait sur le trottoir, puis rentra chez elle.

Le chat du voisin qui passait son temps dans les poubelles à l’affut de protéines (son maitre ayant décidé de faire de lui un félin végétarien ne lui donnait que des légumes)  fut fort surpris de recevoir une rose épineuse sur la tête. Il bondit alors hors de la poubelle avec un miaou de mécontentement, courut à toutes pattes vers un autre quartier, et se retrouva dans le jardin de Gilou.

Celui-ci, après une réconciliation fort réussie avec son épouse naïve, fit le tri de ses découvertes « emaüssiennes »  sur la table de la salle à manger. Quand il sortit le cendrier jaune en forme de dé à jouer et annonça à Liliane qu’il ne le revendrait pas mais l’exposerait dans leur salon, le sang de la malheureuse ne fit qu’un tour :

-Ha non alors ! Tu choisis, c’est lui ou moi !

Il ne fallut que quelques secondes à Gilou pour faire ses petits calculs : l’héritage de sa femme (beaucoup plus âgée que lui) valait bien le sacrifice d’un objet vintage, alors il alla le jeter au fond du jardin.

Il pleuvait tellement en ce mois de mars, que le cendrier se remplit bien vite d’eau de pluie. Quand le chat du voisin de Sylvia aperçut cet abreuvoir, il s’y précipita pour se désaltérer, tant il avait soif après sa folle course. Liliane, qui venait de sortir pour cueillir la laitue du soir dans son potager fut émue aux larmes en voyant ce pauvre minet amaigri par des mois de végétarianisme. Elle décida donc de l’adopter et de lui donner chaque jour un beau blanc de poulet. Quant au gros cendrier en forme de dé, il eut droit à sa place dans la cuisine en tant que bol officiel du chat !

Jeu numéro 46

Le texte ci-dessous m’a été inspiré par cette photo de Anonimart dans le cadre de l’atelier BRICABOOK numéro 447.

Mon cher Paul,

Je t’offre cette belle brioche tressée, tu pourras la mettre sur ta tête ou la déguster avec un bon chocolat viennois, c’est comme tu voudras. Cependant je préfèrerais que tu choisisses la première option ; en effet, ta calvitie m’horripile… Ta tête me fait l’effet d’un planète déserte, d’un œuf de Pâques, du désert de Gobi…  et j’exècre le contact de ma main avec cette surface inculte. Je parle bien de « surface » inculte, car l’intérieur de ton crâne, lui, est fort cultivé, rempli des fruits de la connaissance, de fleurs du mal, de racines carrées, bref, tout un terreau où bourgeonnent tes idées fécondes.

Tu remarqueras que je ne te propose pas de mettre cette brioche tressée sur ton abdomen, car à cet endroit, tu en as déjà une, et bien grasse avec ça !

Alors s’il te plait, mon cher Paul, pose-la sur ta tête et dis-moi comment tu te sens ainsi coiffé ; peut-être retrouveras-tu tes vingt ans… et moi, je débarquerai l’un de ces jours, comme un cheveu sur la soupe, pour te décoiffer !

Rencontre entre ciel et mer

Le texte ci-dessous m’a été inspiré par cette photo de Anonimart dans le cadre de l’atelier BRICABOOK numéro 447.

J’ai admiré un hippocampe céleste, il était en lévitation dans le ciel maritime et avait l’air de s’y plaire, ma foi…

Pourtant, j’ai tenté de le ramener à la mer ; il me semblait que sa cavalcade de mini cheval y serait plus aisée ; alors j’ai tiré de mes deux mains sur sa queue pour le faire redescendre, mais son sourire charmeur semblait me dire : « J’y suis, j’y reste »

Quelle drôle de fantaisie pour un cheval des mers de se prendre pour un chevalier du ciel !

En avait-il eu assez de côtoyer les dragons, ses cousins, et tout le peuple des eaux ? Était-il tombé amoureux d’une mouette ou d’une avocette ? Ou voulait-il rivaliser avec les cerfs-volants dont il avait souvent contemplé le ballet à travers le filtre flouté des flots ?

Je ne me suis pas laissée amadouer et j’ai continuer de le tirer vers moi. Tout à coup l’hippocampe a cédé et je n’ai plus senti entre mes mains qu’une chose faible, dénuée de volonté ; j’en avais presque honte… et je l’ai lâché ; c’est alors qu’un paréo bariolé s’est posé avec souplesse sur le sable. Sur lui, je me suis allongée, et j’ai ressenti tous les bienfaits du ciel et de la mer.

A la fin de ma journée de plage, je l’ai noué autour de ma taille et il a dansé au gré de mes pas sous le couchant du soleil.      

Emotions

Le texte ci-dessous m’a été inspiré par cette photo de @Pawel I dans le cadre de l’atelier BRICABOOK numéro 446.

Lapinette est là, quelque part, sous ces centaines de pieds écrasants, lourds et indifférents aux pleurs d’une petite fille. Quand était-elle tombée de sa menotte ronde, comme un oisillon du nid protecteur ? Pauline s’était assoupie sur l’épaule de sa mère, les yeux, la tête et le ventre gorgés de barbe à papa, de manèges et de chansonnettes. Au moment même où le rêve ouaté l’avait enlacée, la fillette avait lâché sa précieuse lapine rose sur l’asphalte grise. Maman n’y avait vu que du bleu ; ballottée par la foule fleuve et ses flots frénétiques, elle n’avait pensé qu’à serrer plus fort contre elle, sa petite dormante.

Puis, soudain, la fanfare avait rugit et Pauline hurlé – Arrachée à ses songes aux forceps – Son cri avait redoublé quand elle avait réalisé l’absence, le manque brutal… sa maman-bis en peluche n’était plus là.

Larmes, contorsions, rage

Baisers, caresses, douceur

Hoquets, épuisement, résignation.

Et puis soudain, ce bras émergeant de la houle. Un bras immense, une main puissante, et au bout de cette main, un doudou rose :

-C’est à quiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ?

Retrouvailles, sourires, bonheur.

Conscience

Le texte ci-dessous m’a été inspiré par cette photo de @AK dans le cadre de l’atelier BRICABOOK numéro 445.

Dans un écrin de nature,

l’homme s’est installé

Pour la première fois, il s’est senti dans le vrai,

dans le sans commentaire,

dans le plus que parfait,

dans le vingt sur vingt.

Pas de rouge sur la copie.

Sur le banc de bois brun, il s’est allongé,

éventé par deux paires de cils vert foncé.

Face à lui, le ciel, le lac, le cielac ou le laciel  

d’un bleu terrible soulagé de pâles archipels.

Au lointain, l’épaisse fourrure fauve 

encore épaissie par son miroitement de renarde farouche

Et lui, l’homme, si infime et pourtant si puissant par son espèce,

au sein de cette vénusté si forte et si fragile en même temps.