Un dîner soigné

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J’attends, j’attends toute droite sur mon canapé en regardant les trombes d’eau qui tombent au dehors… si les invités sont à l’heure, ils devraient être là dans moins de dix minutes.
Rho ! Grisette a encore fait ses griffes sur les accoudoirs …Est-ce que j’ai le temps d’arranger ça avant leur arrivée ? Vite, je me précipite à la cuisine, reviens avec la cire et le chiffon et me mets à frotter le cuir de toutes mes forces. Ouf ! Ça ne se voit plus.
Mon Dieu ! J’ai oublié d’allumer les petites boules bleues qui donnent une si jolie lumière dans le salon ; oui, mais si je le fais trop tôt, les piles ne tiendront pas toute la soirée… tant pis, j’attends le premier coup de sonnette pour le faire ; mais si j’oublie ? Vite, je programme une alarme sur mon portable pour y penser, mais à quelle heure ? Grande question : marqueront-ils le quart d’heure de politesse ? Les Michard sûrement, ils sont très bien élevés, trop même… Mais les Ferchaud ? Sûrement pas, ce sont des rustres, surtout lui…
Aie ! Le portrait de Bonne Maman est de guingois ! Il faut dire que de son vivant, elle me regardait souvent de travers, si ça se trouve c’est son fantôme qui bouge le tableau… Allez, j’ose, je vais lui tenir tête et la remettre comme il faut ; horreur ! Son cadre doré est plein de poussière ; Sûr que le Colonel Ferchaud va le remarquer ! Chaque fois qu’il vient, celui-là, on dirait que c’est pour faire une revue de casernement ! Vite, un petit coup de plumeau et je me sentirai soulagée comme un petit soldat qui a bien fait son lit au carré.
Pourvu que personne ne m’apporte de bouquet… je n’ai qu’un vase et il est déjà occupé par mes superbes fleurs artificielles qui ont plus de trente ans ; Et puis, quel stress d’être obligée d’aller couper des tiges et d’arranger des fleurs dans la cuisine, au milieu des hors d’œuvres qui patientent et des plats qui mijotent. Ils savent bien que je préfère une boite de chocolats noirs ou une bouteille de vin rouge depuis le temps, non ?
Vingt heures quinze, le quart d’heure de politesse est passé et toujours personne ! Même pas ce goujat de Colonel Ferchaud et sa Bernadette.
Bon, je fais quoi, moi ? Un petit contrôle dans la glace ; je pense avoir mis la robe idéale, ni trop voyante, ni trop classique ; Oups, mon décolleté…si je me penche trop en servant le soufflé au fromage, la Bernadette va encore jaser et peut-être même frapper son Colonel de mari, s’il y jette une œillade. Et après tout, ça mettrait un peu d’ambiance !
Vingt heures vingt cinq… mais c’est dingue ça ! Heureusement que je n’avais pas allumé mes boules bleues à vingt heures, quelle économie d’énergie ! Greta Thunberg serait fière de moi.
Mais je n’en reviens pas, aucun message d’excuse sur mon portable, c’est vraiment étonnant, surtout de la part des Michard qui sont des gens ennuyeux, certes, mais polis, eux !
Je vérifie mon mail d’invitation, si ça se trouve, j’ai oublié de donner le code de la résidence, peut-être sont-ils tous les quatre sous un seul parapluie à tenter mille combinaisons comme une bande de malfrats devant un coffre-fort.

Dîner entre amis samedi 15 mars, vingt heures, code grille 7845B
Je me réjouis d’avance de vous revoir.

Samedi 15 mars ?! Mais nous ne sommes que le 15 février ! Quelle bécasse, quelle andouille, quelle tarte ! Mi vexée, mi riante, je me précipite dans ma chambre et retire avec plaisir ma robe aguichante, mes bas de soie et mes escarpins trop raides. Avec délectation, j’enfile mon pyjama en pilou et mes charentaises à carreaux. De retour dans le salon, j’allume mes petites lumières bleues rien que pour moi et me tape trois verres de punch coco cul sec.
Comme on est bien dans une maison toute rangée, avec une table joliment décorée, un dîner soigneusement préparé, sans les Ferchaud pour vous critiquer, ni les Michard pour vous donner envie de mourir avec leur conversation assommante !
– Oui, ma petite Grisette, tu peux t’asseoir à coté de moi, tu auras même droit à une belle part de foie gras si tu me promets de ne plus gratter les accoudoirs du canapé !
Je déchire mon plan de table avec une jouissance extrême, m’installe à la place du Colonel et commence à m’empiffrer à même le plat de soufflé au fromage retombé, sans même faire attention à garder ma bouche fermée !

Comme c’est curieux, le portrait de Bonne Maman s’est remis de travers…

MH

24 commentaires sur “Un dîner soigné

  1. Oh juste un peu la tête en l’air, et alors c’est pas grave ! le repas n’a pas été perdu, tu vois bien ! et mettre une belle robe de temps en temps, c’est pas mal non plus 😉 Dis-moi quand même, ça t’arrive souvent de perdre la tête ?

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  2. Par sens pratique, j’aurais gardé le plan de table pour le ressortir le 15 mars 😉 Nous avons tous nos moments de distraction. Je mets les infos sur l’agenda du portable, avec un agenda papier EN PLUS à la maison………… et malgré ce j’oublie…….. 😀

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  3. Ah! Mais c’est que demain j’ai des amis qui viennent dîner….et j’ai exactement le même sentiment d’angoisse, déjà, ce soir!!!! Ca me réconforte. Je ne suis donc pas la seule!!! Merci MH!!!

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  4. Que j’ai ri ! On est tout à fait dans la tête de ton hôtesse, qui semble apprécier sa soirée finalement, sans personne pour la reluquer, la jauger, lui offrir des fleurs stressantes à souhait, et qui allaient tout bouffer sans satiété 🙂 Belle journée à toi, Sabrina.

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  5. Hello MH
    Mais pourquoi donc suis-je tombée sur ce billet de mars qui m’avait échappé, comme d’autres 😳 😥
    Quel bon moment, au fil de ma lecture, toutes les scènes défilaient dans ma tête et ta minette est drôlement bien élevée, impeccablement installée à table 😆
    Si je peux me permettre, ne jamais prévoir un soufflé quand on a du monde à dîner ! Mon père répétait, et il n’avait pas tort, que ce sont les invités qui doivent attendre le soufflé, pas le contraire 😉
    Bonne fin de semaine et gros bisous

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