L’ appel de la capitale

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Il s’était dit que s’il vivait à Paris, tout serait différent. Paris, la capitale, la ville où il rencontrerait des tas de gens comme lui, des artistes, des jeunes avec les mêmes envies.
Rémi marche avec son chien Kiki sur la plage désertée. On est mi septembre, les vacanciers sont tous partis. Il a vu les animateurs du club Mickey, des ados de son âge, pleurer le dernier jour du mois d’août. Ils n’avaient pas envie de quitter la petite ville pour retourner à Paris alors que lui, Rémi, ne rêve que de celà.
Kiki court après une mouette qui s’envole dans le ciel océan, elle pourrait aller où elle veut mais préfère rester là dans la station balnéaire en deuil de ses estivants.
Il partirait tôt le matin, avec son sac à dos et sa guitare, il donnerait un os à Kiki pour que celui-ci n’essaie pas de le suivre. Il ne ferait aucun bruit même s’il sait que son père ne se lève jamais avant midi les lendemains de cuites… c’est-à-dire tous les jours. Et puis non, il prendrait le chien avec lui, il ne pourrait pas le laisser… Ils arriveraient à la gare vieillotte, terminus de tous les trains, et ils achèteraient leurs billets : dix euros pour celui de Kiki et quarante pour le sien. Non, il prendrait juste un billet pour lui, Kiki, il se cacherait sous le siège.
Rémi remonte de la plage sur la promenade rose, Monsieur Léon, le bijoutier aux allures de milord promène Seigneur, un caniche prétentieux que Kiki déteste. Rémi remet son chien en laisse pour éviter la bagarre : T’en fais pas Kiki, je te libère dès que Seigneur sera rentré au Café des Bains.
Ils coupent par l’allée des bégonias qui commencent à faner, pour atteindre la Place de l’Eglise. Les cloches sonnent, il est neuf heures. Rémi prendrait bien un chocolat au Bar des Amis… mais non, il faut commencer à économiser, dès maintenant, l’argent qu’il a gagné pendant la saison, au marché le matin et Aux délices du port, le soir en servant des gaufres.
Le carrousel de la place a mis son manteau d’hiver, seul le museau d’un des chevaux de bois pointe à travers la bâche bleu marine trouée.
Ils monteraient dans le TER qui fait des pauses à toutes les petites gares de la région : Saujon, Saint-Jean-d’Angély, Villeneuve-la-comtesse, Prissé la charrière …
Kiki resterait bien sage sous le fauteuil, caché par le sac à dos et les pieds de son maître… non pas son maître, Rémi n’aime pas ce mot, son copain, son complice.
Dans la rue principale de sa ville, les voitures ont à nouveau le droit de rouler, les piétons en sandales, robes décolletées ou chemisettes à fleurs ont disparu, plus un chat à part le tigré de la boulangère qui détale dans la Ruelle des Matelots en voyant Kiki.
Et puis, ils arriveraient enfin à Niort et prendraient le TGV. Rémi aurait peut-être une jolie voisine comme dans la chanson de Françoise Hardy et de Dutronc. Il parlerait musique avec elle parce qu’elle voyagerait avec un saxo comme seul bagage… Elle s’appellerait Lalie.
Rémi et Lalie ça irait bien ensemble.
Le magasin de souvenirs est fermé jusqu’au printemps, un petit clown fait de coquillages collés a été oublié dans la vitrine, autour de lui, des moutons de poussière…
Au coin de la Rue de l’Hippocampe, trône le plus grand magasin de la commune, celui qui ne ferme jamais car il a des clients toute l’année: Les pompes funèbres océanes… Le jeune homme accélère le pas. Kiki, lui, est déjà au bout de la rue, planté devant sa boutique fétiche… Rémi le rejoint à l’étal de Gégé le boucher.
Arrivés à la Gare Montparnasse, ils sauraient déjà tout l’un de l’autre et chercheraient un premier restau pour faire la manche ensemble. Les parisiens et les touristes attablés applaudiraient très fort le duo guitare saxo. La casquette de Rémi dans la gueule, Kiki récolterait plein de pièces pour payer leur dîner et leur chambre d’hôtel.
Gégé décroche une chipolata d’un long chapelet de saucisses et la fait tournoyer au dessus de la gueule de Kiki qui la happe aussitôt et l’engloutit avec délice. Gégé aime bien ce chien. C’est lui qui l’a trouvé il y a deux ans, au début de l’été, abandonné par des maîtres infidèles sur la route nationale. Il ne pouvait pas le garder alors il a tout de suite pensé à Rémi le gentil petit musicos en mal d’affection.
Rémi et Gégé font un brin de causette : Qu’est ce que tu vas faire cette année ? Je sais pas, je sais pas …Tu t’es inscrit en apprentissage quelque part ? Pas encore, pas encore…
Et puis, Rémi va saluer Christian qui découpe des côtelettes dans l’arrière boutique. Ils étaient ensemble à l’école maternelle, puis en primaire. Christian ne quittera jamais la petite ville, il a son travail à la boucherie et Caline la fille du Bar des amis. Dans deux ans il la demandera en mariage et ils vivront dans la villa Yéyette que la grand-mère de Caline a promis de lui donner quand elle partira à la Maison de Retraite du Soleil Couchant.
Rémi repart direction chez lui avec Kiki, il repense à Christian, le plaint et l’envie à la fois de se contenter d’une vie si simple.

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Premier octobre, sept heures, Rémi et Kiki montent dans le TER. Ils ont quitté la maison sans bruit. Remi a juste laissé ces quelques mots pour le père : Je pars. J’emmène le chien avec moi.
Il n’y a qu’eux deux dans le wagon. Le train démarre et Rémi voit toute son enfance défiler sur les vitres aux reflets des paysages de sa région. Comme prévu, le train s’arrête à Saujon où montent deux jumelles pimpantes d’une cinquantaine d’année. A Saint-Jean-d’Angely, c’est un SDF qui s’installe bruyamment en se parlant tout haut : Voilà j’suis assis, mais maintenant la question c’est, est-ce que je vais pouvoir me relever ?
Au bout de cinq minutes il ronfle déjà. Son odeur avinée dérange Kiki que se retourne avec un petit geignement. Rémi chasse une sale idée qui lui vient : et s’il finissait seul et indigent comme ce pauvre bougre ?
A Villeneuve-la-comtesse, personne ne monte ni ne descend, le train ne marque cet arrêt que pour les vaches noires et blanches, intriguées par cette longue bête de fer gémissante. A Prissé la charriere c’est le SDF qui descend à grands renforts de bâillements et d’exclamations : Holala, holala que c’est dur de se mettre debout…
Niort : vingt minutes d’attente sur le quai pour le TGV direction Paris Montparnasse. Rémi contemple le billet de sa liberté : voiture 15, place 12

Dans la gare du chef lieu des Deux-Sèvres, une jeune fille chargée d’un sac de voyage et d’un encombrant étui à musique composte son billet à la hâte. Plus que deux minutes avant l’arrivée du TGV. Elle jette un œil sur le panneau décrivant la composition du train : pour la voiture 15, elle doit avancer jusqu’au repaire Y. Une fois montée, il faudra qu’elle trouve la place numero13. Elle sourit, c’est un chiffre qui lui a toujours porté bonheur.

MH

Petite questionnette: Et vous, vous-êtes vous un jour sentis irrésistiblement attirés par une ville ?

8 commentaires sur “L’ appel de la capitale

  1. Pour répondre à ta question : oui, je suis restée indéfectiblement attachée à la ville, la cité, l’entité, au sein de laquelle j’ai vécu jeunesse et début de vie d’adulte. Je n’y habite plus, mais lorsque j’y reviens, régulièrement, c’est comme retrouver une amie chère à mon cœur. Je lui ai d’ailleurs consacré un court texte « Le Brodeur de Souvenirs ». Sinon, Barcelone a été pour moi un vrai coup de cœur aussi
    Merci pour ton « Appel de la capitale ». J’ai aimé l’alternance du réel et du rêvé…

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